Catégorie : Lecture extraits et chapitres
Protégé : LOMCTR T3 : Le coeur ou la raison – chapitre 2
LOMCTR T3 : Le coeur ou la raison – chapitre 1
Ils sont de retour !
Souvenez-vous ! Callum a découvert qu’il avait un démon légendaire en lui, Noctis, et Aélis porte en elle la Protectrice, l’ennemie jurée de Noctis.
Aélis doit, malgré ces révélations, partir au chevet de sa mère malade à Piléa.
©Jordane Cassidy – 2023
1
Déterrer des souvenirs.
Il y a trois ans…
— Votre Majesté, au rapport !
Le Roi Mildegarde regarda son lieutenant de travers.
— J’espère que les raisons qui vous conduisent à me déranger en plein repas avec la famille royale sont pertinentes, Lieutenant Gomi.
Le lieutenant s’inclina devant la famille royale.
— Je suis désolé de vous déranger, mais je dois vous informer d’un fait grave.
— Un fait grave ? Rien que ça ?!
— Nous avons essuyé une attaque, Votre Majesté ! Les geôles ont été partiellement détruites.
Hélix Mildegarde s’interrompit tandis qu’il essayait d’arracher la chair d’un pilon de poulet avec ses dents. Il le posa alors dans son assiette en silence et s’essuya les mains, puis la bouche, à présent tout à son écoute.
— Comment ?!
— Des prisonniers ont pris la fuite, à la suite d’une intrusion.
Dans un geste brusque, le Roi se leva de son siège.
— Qui a osé attaquer la prison ?! s’exclama-t-il alors, dans un cri de colère.
— D’après les premières informations recueillies, il semblerait qu’un chevalier magique se soit infiltré dans les geôles et qu’il ait semé le chaos au milieu des gardiens et des prisonniers. Je suis désolé. J’ai manqué à ma mission, Votre Majesté. Je devais en assurer la sécurité, mais je n’étais pas présent au moment de l’attaque. Je pense que tout était prévu pour parvenir à la réussite de cette attaque, y compris de connaître mon emploi du temps…
Le soldat s’agenouilla, se mettant à la merci du châtiment du Roi. Cependant, Hélix Mildegarde ne s’attarda pas sur la culpabilité de son lieutenant en charge de la prison d’Avéna.
— Un chevalier magique, tu dis ? Sa description ?! lui ordonna alors le Roi.
— D’après les prisonniers qui ont préféré rester de peur des représailles plutôt que de s’enfuir, ce serait un homme d’une cinquantaine d’années avec des lunettes.
— Un chevalier à lunettes, tu dis ?…
Hélix Mildegarde se rassit pour réfléchir et trouver qui, à sa connaissance, pouvait correspondre à ce descriptif. Il n’y avait pas des milliers de chevaliers magiques au royaume.
— Il semblerait que son pouvoir magique soit de type… aqueux.
Le Roi écarquilla les yeux, devinant soudain l’identité du chevalier. Il releva la tête vers son soldat, la mine plus inquiète. Son lieutenant ferma un instant les yeux avant de les rouvrir pour annoncer l’objectif de cet assaut contre la prison.
— Il est venu libérer votre frère, Gésar Mildegarde. Il s’est enfui avec lui.
Les yeux d’Hélix Mildegarde s’assombrirent. Il ferma le poing et serra ses doigts de toutes ses forces, de rage.
— Maudit sois-tu… Khan !
Aujourd’hui…
Hélix Mildegarde contempla sa chevalière d’un air songeur. Un souvenir lui revint en mémoire… Ils avaient huit et onze ans à l’époque.
« — Hé ! Hélix ! Regarde ce que j’ai appris ! déclara Gésar, les pupilles brillantes.
Hélix regarda son grand frère en coup de vent avant de se replonger dans ses livres.
— Merveilleux coup d’épée ! lui déclara-t-il d’un ton monotone.
— Contemple-le bien ! Il va servir le royaume bientôt ! se gaussa Gésar. Père a dit que j’irai bientôt combattre avec les troupes royales.
— Réjouissant !
— Arrête d’être cynique et sors un peu de tes livres, Hélix !
— Les livres sont aussi d’excellents outils pour gagner un territoire ! Tu devrais en lire, futur Roi !
— Et toi, tu devrais prendre aussi une épée pour protéger ton futur Roi !
— Il saura se défendre sans moi ! Regarde le magnifique geste qu’il vient d’apprendre !
— Fais le malin ! Tu verras ! Père sera fier de moi ! Je veux être son digne successeur ! Et tu seras mon premier conseiller, Hélix !
— Je n’attends que ça ! lui répondit Hélix avec ironie.
— Un jour, j’hériterai de la chevalière de Père ! Il m’a promis qu’il me la donnerait le jour de la succession. Je suis après tout le fils héritier du trône !
Hélix souffla, dépité par tant de futilités à ses yeux.
— Tout ça pour une bague… Il y a tellement d’autres choses à découvrir que la guerre et la gouvernance d’un royaume.
— Pourquoi n’aimes-tu pas l’idée d’être Roi, frangin ?
— Parce que l’on n’est jamais en paix !
Hélix ferma son livre et le quitta.
— Je t’apporterai la paix ! Je te le promets, Hélix ! »
Hélix souffla à ce souvenir.
— Tu parles ! Tu ne m’amènes que des ennuis !
Un soldat vint alors le trouver dans la grande salle du trône.
— Votre Majesté ! Au rapport !
— Sempiternelle phrase… Parle !
— Nous n’avons toujours aucune trace de Messire Gésar ni du chevalier magique Khan. Il semble que leur activité soit discrète depuis le mariage du Duc Callistar. Nous n’avons pas eu d’autres vols de pierres depuis ni eu vent d’attaques d’un chevalier avec le descriptif du chevalier Khan.
Hélix contempla à nouveau cette fameuse chevalière à son doigt, héritée de leur père, d’un air songeur.
— Que comptes-tu faire, mon frère, maintenant que tu as le corps d’Ilina ? À quoi cela t’avance-t-il de le récupérer ?
Un grand livre se referma dans un amas de poussière. Le Grand Gardien soupira, agacé de ne pas trouver plus d’informations sur Noctis.
— Alors ? Toujours rien ?
Kizo apparut sur le pas de la porte de son bureau.
— Non… Je n’ai aucun témoignage stipulant que ce démon ait déjà pris possession d’un corps.
— Je suis sûr qu’il y a un moyen d’inverser cette possession et de rendre à Callum l’entière propriété de son corps ! l’encouragea Kizo, optimiste. Peut-être devrions-nous nous pencher sur des cas de possession de démon de niveau plus faible et adapter une formule pour ce démon et sur l’exorcisme.
— C’est une idée… Séparer le démon de Callum Callistar nous permettrait de gagner un soldat contre ce démon. Après tout, Callum est un chevalier émérite. Cependant, j’ai aussi l’intime conviction que l’en séparer ne serait pas judicieux pour l’hôte.
— Tu crains que la séparation se passe mal et que Callum en paie le prix fort, et nous aussi ?
— Oui. Le démon pourrait altérer le corps de Callum s’il sent qu’on tente de l’en séparer.
— Alors, pourquoi chercher des témoignages de possession dans ces livres ?
— Nous avons une théorie sur cette possession avec le Roi Mildegarde. Nous pensons que Callum a ce démon depuis la naissance. Il a toujours manifesté ce déséquilibre des forces en lui entre le Bien et le Mal. Partant de ce principe, si ce démon est présent depuis sa naissance, cela peut donc signifier que c’est la mère de Callum qui aurait pactisé avec le démon lors de la grossesse.
— Sa mère ? Mais…, on ignore qui c’est ! Il a toujours été orphelin. Et pourquoi offrir son fils à un démon ?
— Pour tout te dire, Kizo, la vérité sur les origines de Callum a été cachée par le Roi volontairement, et aujourd’hui, tant que nous ne savons pas ce qu’il s’est réellement passé avec sa mère, nous devons conserver ce secret.
Kizo le fixa gravement.
— Pourquoi conserver un tel secret ? Qu’y a-t-il d’important à cacher dans les origines de Callum ?
Le Grand Gardien sourit avec amertume.
— Certainement qu’il y a des souvenirs du passé que le Roi a préféré enterrer, pour le bien de tous…
— Effectivement, vu les dernières révélations, la vie de Callum Callistar semble bien compliquée !
— Et elle peut l’être encore plus selon ce que nous garderons pour nous et ce qui se révèlera à lui. La question est donc de savoir si cette possession a été volontaire ou involontaire de la part de sa mère. Soit elle a convoqué le démon pour qu’il interfère d’une quelconque manière et Callum risque de mal accepter cette issue, soit elle l’a rencontré par hasard et c’est lui qui s’est servi de sa grossesse pour répondre à des desseins plus troubles. Dans ce cas, Callum pourra l’admettre plus facilement comme une fatalité.
— Dans tous les cas, quelle tristesse si cette possession date réellement de cette période !
Kizo ne cacha pas sa compassion pour cette femme inconnue qui avait dû beaucoup souffrir aussi.
— Quel sentiment a pu éprouver cette mère lorsque le démon s’est réfugié dans son ventre ?
Le Grand Gardien contempla le livre qu’il venait de refermer avec amertume.
— La tristesse d’une mère n’a d’égale que celle de son fils orphelin aujourd’hui…
Cléry referma un vieux livre emprunté au Conseil Magique concernant la Protectrice. Il avait ainsi un peu plus d’éléments sur les attentes du Grand Gardien la concernant. Elle était un symbole du Bien, une légende, elle aussi. Il comprenait combien la réapparition de la Protectrice avait une importance dans la lutte du pouvoir contre le Mal. Il soupira et se décida à ouvrir les portes de l’église, avec sérénité. En cette matinée, le soleil était au rendez-vous et l’air frais du matin annonçait un redoux évident pour la journée. Pourtant, quelle ne fut pas sa surprise en trouvant le responsable du cimetière devant lui, attendant l’ouverture des prières en ce lieu saint.
— Bonjour Monsieur Ratule. Les bras du Seigneur sont grands ouverts pour vous !
Il lui céda le passage devant l’entrée de l’église et l’homme entra, le visage visiblement tracassé. Sans un mot, Monsieur Ratule le salua d’un signe de tête et se dirigea vers le confessionnal, après avoir fait un signe de croix devant l’autel. Cléry soupira, navré de voir combien ses fidèles pouvaient trouver autant de tracas dans leur quotidien, au point de chercher une aide religieuse dès la première heure de la matinée. Il sourit finalement. Sa mission était de les soulager, peu importe l’heure. Il se dirigea donc à sa suite en silence et s’installa dans la partie du confessionnal dédiée à l’homme d’Église.
— Mon Père, je viens à vous, car le poids de ma culpabilité me ronge depuis trop de temps. J’ai péché d’orgueil et de paresse.
— Que vous arrive-t-il, mon fils, pour vous accabler à ce point d’une culpabilité ?
— J’ai caché un fait important à la communauté et à notre Duc. J’ai manqué à mes devoirs par simple orgueil, pour un fait outrageant pouvant avoir des conséquences…
Cléry sentit l’homme très mal à l’aise, inquiet.
— Je vous écoute.
— J’ai découvert qu’une tombe a été profanée…, le jour du mariage du Duc. Le cercueil avait disparu… Dans un élan de panique, j’ai recouvert le trou et j’ai fait comme si rien ne s’était passé. J’avais peur qu’on me juge d’incapable. Je suis après tout le gardien du cimetière. C’est mon rôle de surveiller les tombes. Si l’une d’elles est endommagée, la responsabilité me sera incombée et… pour ce cas, j’ai pris peur en réalisant les répercussions sur mon avenir. Seulement…, plusieurs semaines après, la terre a de nouveau été remuée et là, j’ai complètement paniqué. Peut-être que quelqu’un a su que j’avais tu cet outrage. Peut-être qu’on essaie de me faire peur… Peut-être que c’est « Elle » qui revient me hanter ! Je ne dors plus ! Elle va venir emporter mon esprit en enfer !
Le gardien du cimetière s’attrapa les cheveux dans un geste de démence.
— Calmez-vous, mon enfant. Vous dites qu’une tombe a été saccagée ? Vous savez, si votre culpabilité d’avoir délibérément omis de le signaler est effective, la culpabilité de celui qui a troublé le sommeil de nos morts l’est encore plus. On ne sort pas nos morts du repos éternel. C’est un blasphème. Le Seigneur sera beaucoup moins clément envers cette personne. La question est de savoir pourquoi on s’attaquerait à une tombe, à deux reprises. Peut-être serait-il judicieux de déposer une plainte pour lancer une enquête ?
— Mais s’il y a enquête, je vais être puni par le Duc ! Je ne voulais pas déranger le Duc dans son bonheur de nouveau marié avec une telle affaire et ensuite, je me suis dit que c’était trop tard. Maintenant, je me rends compte que j’ai compromis autant de preuves que d’espoir de résoudre cette énigme à cause de ma faiblesse !
— Il n’est jamais trop tard pour réparer ses erreurs ! rétorqua d’un ton sûr le prêtre. Dites-moi, vous avez dit « elle va revenir me hanter… », de qui parliez-vous ?
— Il ne s’agit pas de n’importe quelle tombe… C’est celle de l’ancienne Duchesse d’Althéa : Dame Averhill !
— L’ancienne Duchesse d’Althéa ? répéta alors Cléry, surpris et songeur.
— Oui… Comment peut-on commettre un tel sacrilège le jour où une nouvelle Duchesse doit prendre la gouvernance de la cité ? Qui peut vouloir infliger un tel affront au Duc le jour de son mariage ?
Cléry resta tout aussi abasourdi par cette annonce.
— Déjà qu’il a dû essuyer cette attaque en pleine cérémonie… continua le gardien du cimetière, désolé.
Cléry écarquilla les yeux et une hypothèse traversa son esprit. La coïncidence semblait grosse, mais en même temps…
Il sortit alors du confessionnal et se montra à Monsieur Ratule.
— Montrez-moi la tombe ! Immédiatement !
— Mais… ? Et ma repentance ?
— Le Seigneur verra en vous un premier pas vers le pardon si vous me conduisez à cette tombe !
Le gardien le guida à travers les rangées de tombes jusqu’à apercevoir au fond du cimetière une grande stèle surplombant les autres. Cléry fronça les sourcils et se hâta.
— La voici ! lui déclara l’homme. Son père, le Duc Averhill, est juste à côté.
Cléry remarqua alors la différence immédiate de traitement de faveur entre les deux tombes. Si la tombe de la Duchesse était majestueuse et indiquait volontairement la mise en avant de la personne qu’était cette femme, celle du Duc était discrète, sans ornements. Il contempla les épitaphes. La Duchesse était morte il y a vingt-cinq ans. Le Duc il y a treize ans.
— Pauvre homme…, commenta alors le gardien du cimetière. Il aimait tellement sa fille. Il ne s’est jamais remis de son décès. Déjà, la disparition de son épouse l’avait profondément meurtri, celui de sa fille l’a achevé…
— Comment est-elle morte ? J’avoue ignorer l’histoire d’Althéa.
— En couche ! Ni le bébé ni elle, n’ont survécu. Ce fut un traumatisme incurable pour son père. Il aurait tout donné pour elle.
— Cela se voit. Il suffit de comparer les deux tombes.
— Il ne voulait pas d’un caveau familial où il aurait pu la rejoindre. Il se sentait responsable de sa mort et estimait qu’il ne méritait pas les mêmes égards. Alors il s’est contenté d’un enterrement sobre à ses côtés. Il voulait qu’elle marque davantage les esprits que lui. Peut-être une façon de la faire exister encore maintenant aux yeux des gens. Quand ils viennent ici, ils la voient. Elle ne passe pas inaperçue.
Cléry s’agenouilla et toucha la terre. Il examina bien le lieu, puis visa le type de chaussure du gardien en correspondance avec les traces de pas légèrement effacées dans un coin de la tombe.
— Des bottes de soldats…
— Plait-il ?
— Il y a des empreintes partielles ici.
Il les montra au gardien qui observa plus attentivement le sol.
— Pour en avoir vu beaucoup sur le champ de bataille, ce sont des empreintes de bottes de soldats. L’armure et les bottes rendent le pas plus lourd. Il n’y a pas de crampons ayant emporté la terre. Les bottes de soldats en sont dépourvues, justement pour éviter de rendre l’armure plus lourde encore…
— Vous êtes en train de dire que ce serait peut-être la garde royale ?
— Pas forcément. Cela peut être un groupe de mercenaires aussi, mais l’armée royale était là, le jour du mariage. Cela reste plausible dans les deux cas. La question est de savoir qui était là la première fois, le jour du mariage, et qui est venu la seconde fois, lorsque vous avez remarqué que la terre a été à nouveau retournée ?
— Pour des mercenaires, l’hypothèse tient la route, mais pour la garde royale ? Pourquoi la garde royale ferait…
Le gardien s’interrompit dans sa réflexion et écarquilla les yeux. Cléry commençait à creuser de ses mains la tombe.
— Que faites-vous ? Vous n’allez pas, vous aussi… ?
— Vous n’avez pas vérifié si le cercueil a été remis en place, je parie ?
— N… non…
— Vérifions ! Cela confirmera l’hypothèse que quelqu’un est venu vérifier le vol du cercueil, avant nous !
LOMCTR T2 : Le Démon et la Protectrice – chapitre 3
Ne jamais contrarier une femme… 😜
Let’s go pour le chapitre 3 !
©Jordane Cassidy – 2023
3
Le dernier mot d’une duchesse
— Duchesse ! Je vous en prie ! Soyez raisonnable ! Vous ne devez pas sous-estimer votre santé !
— Je vous dis que je vais bien ! Je n’ai pas besoin d’un nouveau contrôle !
Aélis tentait de semer le docteur qui s’efforçait de lui courir après pour l’ausculter.
— Mais si je ne vérifie pas votre santé, le Duc va…
Aélis s’arrêta net et se tourna vers lui en entendant la mention du Duc sortir de sa bouche.
— Si le Duc vous fait la moindre réflexion, dites-lui qu’il vienne me voir et je lui dirai la suite !
Le médecin resta silencieux, ne sachant s’il devait vraiment insister auprès de la Duchesse d’Althéa et s’immiscer dans les problèmes relationnels des deux époux.
— Duchesse, si vous mourez, je suis moi-même un homme mort d’avoir été négligeant avec vous…
Le ton confus du docteur fit souffler d’agacement Aélis. C’était toujours la même rengaine.
— Ils tremblent vraiment tous devant lui ! grogna-t-elle pour elle-même.
Cela faisait trois jours qu’elle n’avait pas croisé le Duc. Leur accrochage dans la chambre à son réveil et sa sortie pour le moins inattendue les avaient laissés dans un état latent. Tout restait plus ou moins en suspens. Malgré ses excuses, Callum ne s’était pas expliqué davantage sur cette bataille, sur ses ennemis ou sur ce qui était ressorti de tout ça. Comme d’habitude, il continuait de la mettre à l’écart. Une sorte de lassitude la gagnait à devoir se battre pour être considérée comme une personne fiable. Elle estimait ne pas être celle qui devait faire le premier pas sur ce sujet. Il avait été averti et il savait ce qu’elle attendait de lui. Malgré tout, le silence de Callum à ce sujet la blessait. Le mariage ne changeait rien à leur relation. Tout restait fébrile et par-dessus tout, elle ignorait toujours quelle était sa réelle place à prendre à ses côtés, malgré son titre de Duchesse non officialisé lors du mariage par le Roi et celui d’épouse.
Elle savait cependant que faire suivre son état de santé de façon aussi rigoureuse et oppressante ne pouvait pas durer éternellement et qu’elle allait devoir se confronter à Callum Callistar pour obtenir plus d’indépendance à ce sujet, surtout qu’aucun signe inquiétant n’était apparu depuis son réveil.
— Très bien… Je vous propose d’aller le trouver dès maintenant pour que chacun puisse se libérer de cette contrainte.
Le médecin concéda ses propos non sans détourner son regard d’elle avec inquiétude. Ils se rendirent donc au bureau du Duc, sans invitation. Elle frappa à la porte et put entendre un « entrez ! » qui la conforta sur le fait qu’elle allait être enfin libérée de cette charge médicale.
Callum écarquilla les yeux en la voyant apparaître. Cléry, Finley et Mills étaient à ses côtés. Il semblait qu’elle venait interrompre une réunion… à laquelle elle n’était pas conviée, mais Mills, oui.
— Désolée si je vous dérange dans vos petits secrets ! déclara-t-elle alors, acerbe. Je souhaiterais parler à mon cher époux !
— Ma Duchesse ! s’exclama alors Finley, tout en allant à sa rencontre.
Il s’inclina devant elle.
— Bien le bonjour, Duchesse ! Ma journée sera belle puisque je vous ai vue ce matin !
L’agacement d’Aélis s’effaça légèrement devant l’exagération respectueuse de Finley. Mills sourit, Cléry se sentit obligé de saluer Aélis également et Callum grimaça devant ce cirque.
— Effectivement, vous semblez bien plus ravi de me voir que mon cher époux !
Finley se tourna vers le Duc qui leva les yeux tout en soufflant.
— Que voulez-vous ? l’interrogea alors le Duc.
Aélis attrapa la manche du docteur et le présenta à lui.
— Que vous disiez à notre cher docteur que ce n’est plus la peine de venir m’ausculter !
— Même pas en rêve ! répondit du tac au tac Callum.
Aélis fronça les sourcils, peu satisfaite de cette réponse.
— Vous pouvez disposer. Nous sommes en réunion ! continua Callum, tout en s’affairant devant son bureau. Nous n’avons pas davantage de temps à perdre.
Aélis croisa les bras, ne voulant pas en démordre et n’aimant pas sa façon expéditive de la congédier sans prendre le temps d’en discuter.
— Tout le monde dehors ! tonna alors la voix grave de la Duchesse.
Les personnes dans la pièce la dévisagèrent, incrédules de l’entendre émettre un tel ordre, allant à l’encontre celui du Duc.
— Oooh moi, je sors ! s’exclama Finley. Il n’y a rien de pire qu’une femme en colère ! Même Dieu ne peut rien contre ça ! Viens, Cléry !
Il passa son bras sous celui du prêtre pour quitter la pièce.
— Personne ne bouge de cette pièce ! gronda le Duc. La Duchesse attendra !
Aélis plissa les yeux en constatant les réticences du Duc, puis sourit.
— Très bien ! Je vais attendre !
Elle prit une chaise et s’assit.
— De quoi parliez-vous ? Il me semble que j’ai le droit de le savoir puisque je suis Duchesse !
— Tu n’as pas été intronisée ! rétorqua le Duc.
Le docteur toussota, gêné de voir la familiarité du couple lavant son linge sale devant tout le monde.
— Je vais vous laisser et attendre dehors.
Il s’extirpa rapidement de ce qu’il estimait être un guet-apens. La porte claqua derrière lui, laissant un léger silence dans la pièce. Finley n’osa plus prononcer un mot. Cléry, flegmatique, soupira de lassitude. Mills, le visage toujours bienveillant, se contenta de sourire devant ce spectacle intéressant.
— Aélis, tu as été blessée. Il te faut quoi de plus pour comprendre ?! s’énerva Callum.
Aélis se leva de sa chaise, belliqueuse.
— Des explications ! Justement !
Elle se tourna alors vers les trois serviteurs.
— Me considérez-vous comme une simple noble ou véritablement comme votre Duchesse ?
Cléry et Finley se regardèrent, sentant bien le piège venir selon la réponse. Mills, moins gêné, répondit.
— S’il n’y avait pas eu l’intervention de ces brigands lors de votre mariage, vous seriez effectivement couronnée par le Roi Mildegarde comme Duchesse d’Althéa.
— Voilà ! s’écria Callum, ravi d’entendre cela, tout en montrant de sa main ce qu’il considérait venant de la bouche de Mills comme la vérité absolue.
— Cependant, reprit Mills devant la satisfaction du Duc tout à coup mise à l’épreuve, cette attaque ne change rien au fait que vous le serez tôt ou tard. Donc, à mes yeux, aujourd’hui ou demain, cela n’a pas d’importance, puisque c’est votre destin d’embrasser Althéa…
Mills regarda alors Callum avec un petit sourire.
—… et son Duc !
Les pommettes rougies, Callum se sentit soudain gêné par ses mots.
— Par conséquent, à mes yeux, vous êtes et resterez ma Duchesse !
— Traître ! marmonna entre ses dents le Duc.
Malgré le coup d’œil assassin jeté sur Callum, Aélis remercia Mills de sa loyauté en baissant la tête légèrement. Elle se pencha ensuite vers Cléry et Finley. Le chevalier blond observa la réaction du Duc, qui comprit que c’était plié en remarquant l’hésitation de ses sujets.
— Je me suis engagé à vous protéger, répondit solennellement Cléry, à la demande du Duc Callistar et devant le Seigneur. Je ne peux donc revenir sur ma parole. Vous êtes la Duchesse, peu importe le caractère officiel ou non, de ce statut pour l’instant.
— Merci, Cléry, pour votre loyauté.
— Vous êtes vraiment fatigants tous les deux ! s’agaça alors Finley. Pourquoi dois-je trancher entre l’un et l’autre ?
Il montra respectivement Aélis et Callum.
— Je ne veux pas être l’arbitre de vos querelles d’amoureux !
— D’amoureux ! répétèrent Aélis et Callum, stupéfaits par ce qualificatif.
— Où as- tu vu de l’amour dans mon refus de l’impliquer ?! s’expliqua le Duc. C’est juste de la logique et de la prévention !
— Jamais je ne tomberai amoureuse de cet homme ! renchérit Aélis tout en désignant le Duc avec un certain dédain sans pour autant savoir comment le désigner réellement.
Cléry pouffa en voyant combien la spontanéité de Finley était toujours aussi percutante.
— Ce n’est pas drôle, Cléry ! s’énerva Callum.
— Ne vous en prenez pas à mon chevalier ! le défendit alors Aélis.
Callum tapa la paume de ses mains sur son bureau avec colère.
— Mon… Mon chevalier ? répéta Callum, le sourcil tressautant à l’écoute de cette évocation pour le moins possessive.
— Parfaitement ! lui tint tête Aélis. Vous venez de l’entendre, non ? Cléry me considère comme sa Duchesse et a accepté de me servir. De ce fait, en retour, je lui offre ma protection, comme tous les soldats qui me protègent. Par conséquent, si vous vous en prenez à lui, vous avez affaire à moi !
Callum ferma les poings contre le bureau. La veine palpitant de colère sur sa tempe, il plissa les yeux et serra les dents jusqu’à se décider à contourner le bureau pour lui faire face sans obstacle entre eux.
— Nous repartons donc sur le même discours qu’avec Sampa… Je vois… Vous comptez me faire définitivement taire pour que je cède à leur Duchesse leur unique allégeance en m’embrassant aussi sur la bouche pour chacun de MES chevaliers et soldats ?
Les yeux comme des billes à cause de sa stupeur devant l’indicible, Aélis se raidit avant de ressentir la honte l’envahir en voyant la tête d’abord surprise, puis régalée de Cléry, Finley et Mills devant cette révélation. Le visage rouge écarlate devant les petits sourires et gloussements à peine offusqués des trois hommes, Aélis se dirigea vers la porte et l’ouvrit.
— Tout le monde dehors !
La voix de la Duchesse, grave, presque funèbre, fit frémir Finley qui regarda instinctivement Callum, l’œil vif, sans doute partagé entre la colère et le défi de tenir tête à son épouse. Mills fit le premier pas vers l’extérieur et sourit à Aélis d’un air empressé de les laisser seuls. Cléry suivit, puis Finley. Cette fois-ci, Callum les laissa quitter la pièce sans la contredire. Aélis claqua la porte derrière eux et s’approcha de lui.
— Comment osez-vous déballer notre vie privée en public ?!
Droit dans ses bottes et l’air goguenard, Callum s’appuya contre le bureau d’une main et sourit.
— Vie privée, vous dites ? Un baiser comme marchandage et c’est ça, votre vie privée ? Ai-je raté quelque chose de plus ?
Face à cette pique cinglante, Aélis secoua la tête d’amertume.
— Effectivement, c’est déjà trop pour vous ! J’ai été trop généreuse ! Je ne ferai pas deux fois la même erreur ! C’était le dernier baiser !
— Parfait ! contourna alors Callum. Donc on est d’accord pour dire que Cléry, Fin et Mills restent sous mes ordres ! Affaire réglée.
Aélis serra les pans de sa robe de rage. Callum Callistar était un homme de combat redoutable autant par son épée et son pouvoir que par ses mots. Elle le regarda alors retourner s’asseoir derrière son bureau et s’affairer à nouveau au milieu de dossiers, puis la tristesse la gagna.
— Si tous se sont accordés à reconnaître que j’étais leur Duchesse, vous êtes le seul à ne pas le faire. Pourquoi ? Je dois dire que je m’attendais plus à ce que les serviteurs soient hostiles à mon commandement, mais finalement, c’est celui qui devrait m’appuyer le plus qui ne me considère pas en tant que telle… Que vous ai-je fait ?
Callum s’interrompit et regarda un point au loin. Il ferma ensuite les yeux et soupira.
— Aélis, en te tenant éloignée de ce qui se préparait le jour du mariage, tu as toutefois fini blessée. Si je t’autorise à t’impliquer dans nos combats de près comme de loin, la prochaine fois, ce sera peut-être la mort qui t’attendra !
Il tourna alors sa tête vers elle, le regard dur. Elle s’esclaffa, affectée par cette réponse.
— J’ai été enlevée, menacée, j’ai failli mourir étranglée, j’ai même reçu une attaque magique et le tout en me tenant éloignée de vos secrets ! Il faut croire que cette stratégie n’est guère efficace, Callum Callistar. Je côtoie déjà la mort ! Sans parler d’être l’épouse du Chevalier de Sang ! Si ça, ce n’est déjà pas mortel !
Le Duc esquissa un sourire à sa dernière remarque. Il concéda néanmoins son propre échec à la protéger même dans de telles conditions. Il se leva et la contempla un instant.
— C’est vrai, il semblerait que la femme que m’a confiée le Roi soit, que je le veuille ou non, un aimant à problèmes…
Il observa son visage déçu, puis lorgna sur ses lèvres.
— Et ce, à tous les niveaux…
Il s’éloigna d’elle tout à coup et alla regarder le jardin par la fenêtre, les mains dans le dos. Il mit un temps avant de parler à nouveau.
— Nous allons repartir…, avoua-t-il gravement.
— Quoi ?
— Je prends un bataillon avec moi.
— Vous allez vous battre contre eux à nouveau ? s’inquiéta alors la jeune femme.
— Non, nous n’avons pas de piste pour l’instant. Les prisonniers ne diront rien, nous avons déjà eu l’exemple auparavant. Le Balafré est mort et le peu d’informations que j’ai obtenues lors de mon combat ne m’a pas plus avancé sur la suite. Quant au chevalier ayant combattu le Roi, je n’ai pas eu d’informations dessus non plus. Le Roi est resté bizarrement très évasif concernant son combat. Même si je n’aime pas ces mystères autour d’eux, je ne peux que me contenter d’attendre une nouvelle manifestation de leur part pour agir.
— Alors où allez-vous ?
— Nous avons reçu une missive demandant un soutien militaire à la frontière nord-Ouest d’Avéna. Je prends donc un bataillon pour venir en renfort aux troupes du Roi contre celles du Royaume d’Ayolis qui semblent en mouvement.
Aélis baissa les yeux, attristée finalement d’entendre cette nouvelle.
— Vous partez… longtemps ?
Callum se tourna vers elle.
— Je l’ignore. J’espère ne pas m’y éterniser. Je n’aime pas cette menace qui plane toujours sur Althéa alors que je serai absent.
Devant la mine inquiète du Duc, Aélis eut un sursaut d’orgueil.
— Althéa ira bien durant votre mission. Je m’en assurerai !
Un peu surpris par son élan soudainement réconfortant et son assurance, Callum chercha à comprendre son revirement de comportement, l’instant d’avant pourtant plus à l’opposition. Il se rapprocha d’elle et se pencha devant son visage pour chercher le piège.
— Dois-je y percevoir tout à coup une pointe de réjouissance à me savoir parti loin de vous ? demanda-t-il alors, les yeux méfiants.
— Puisque vous me partagez vos secrets au compte-gouttes, j’ai décidé que j’en ferai de même avec les miens ! Chacun ses missions ! Vous ne voulez pas que je sois dans vos petits papiers sur les affaires extérieures, alors je vais juste m’occuper des miens à l’intérieur d’Althéa… avec leurs lots de dangers !
Le sourire légèrement faux d’Aélis ne provoqua guère de soulagement pour Callum.
— Vous êtes vraiment prête à tout pour que je m’énerve et que je craque ?
Le sourire d’Aélis s’effaça en une grimace d’incompréhension, avant de baisser les yeux et rougir légèrement.
— Vous refusez de compter sur moi pour gérer Althéa et de m’inclure dans vos réunions. Je n’ai donc d’autres choix que de m’imposer autrement.
Callum se redressa et la toisa quelques secondes. Il posa sa main sur le haut de la tête de la Duchesse et la caressa légèrement pour ne pas défaire sa coiffure.
— Ne mettez pas non plus Althéa sens dessus dessous pendant mon absence ! déclara-t-il alors tout en s’éloignant d’elle.
— Il vous faudra d’abord revenir vivant pour voir cela !
Callum se retourna, surpris. S’il y avait eu des femmes qui avaient attendu son retour avec impatience, c’était sans doute la première fois qu’on l’obligeait à revenir en un seul morceau simplement par défi. Il sourit alors.
— Je n’ai pas dit que vous pouviez me détrôner non plus à l’intérieur des murs ! Vous êtes juste ma suppléante ! Rien de plus !
Aélis se dirigea vers la porte.
— Pas suppléante ! Duchesse ! Et pas « La » Duchesse, mais « Ma » Duchesse ! Souvenez-vous de la leçon au petit garçon !
Elle lui fit un clin d’œil et claqua la porte derrière elle. Callum resta un instant à contempler son départ avec rêverie.
— MA Duchesse ?
Il s’esclaffa, ne voulant croire à ce désir de possession qu’elle souhaitait lui insuffler pour qu’il revienne vivant.
— Elle prend de plus en plus d’assurance… Dois-je vraiment m’inquiéter de cela ? Elle pourrait vraiment me détrôner !
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LOMCTR T2 : Le Démon et la Protectrice – chapitre 2
En ces périodes de fêtes, voici votre petit cadeau de Noël, le chapitre 2 de cette saga.
Merci de pousser les portes d’Althéa pour découvrir cette saga et merci d’en redemander !
Vous êtes au top !
©Jordane Cassidy – 2023
2
De l’espoir naît des colères
Les rayons du soleil parvenaient difficilement à traverser la pierre blanche accrochée à son cou, en général translucide à l’abri de la lumière aveuglante du soleil. Plus Callum l’admirait, plus il se sentait apaisé. C’était toujours ainsi. Il sentait la négativité l’envahir et il lui suffisait de serrer cette pierre dans sa main ou de la porter contre son plexus pour que ça le calme. D’ordinaire, son autre pierre, l’obsidienne noire, demeurait une des pierres qui absorbait le mieux les ondes négatives. C’était pour cette raison que son mana avait réagi à elle lors du test du Conseil Magique à l’époque de sa formation pour devenir chevalier et qu’elle était devenue sa pierre primordiale, sa pierre de combat incrustée dans sa dague. Avec du mana, l’obsidienne noire absorbait les ondes négatives et pouvait également en redistribuer en grande quantité à ses ennemis, comme ce fut le cas lors de son dernier affrontement contre Khan, et donc le soulager de ce stock négatif inépuisable en lui qu’il cumulait en plus de celles qu’il absorbait de ses ennemis.
Pourtant, la pierre blanche accrochée à son cou était bien celle qui lui apportait quelque chose en plus. Allongé sur une banquette sous le kiosque, il s’amusait à faire miroiter entre ses doigts face au soleil la gemme accrochée à son fil de cuir. Sa fascination était autant due à son origine inconnue qu’à son aspect mystérieux. Il sourit en repensant à la façon dont il l’avait obtenue. Le destin était quelque chose de bien étrange, tout comme cette pierre. Plus jeune, il avait appris la gemmologie et la lithothérapie. Il connaissait donc la majorité des pierres en ce monde : précieuses, semi-précieuses, d’ornement ou d’origine organique, et avait appris leurs vertus et usages. Il avait tenté d’identifier cette pierre, d’en trouver par ses caractéristiques le nom. En vain. Rien ne correspondait. Il avait pourtant cette possibilité de se rendre au Conseil Magique à Avéna pour pousser cette recherche auprès de chercheurs et autres spécialistes, mais il craignait également que son identification ne casse la magie que cette pierre lui apportait au quotidien. Tout ce qu’il savait était là, sous ses yeux. Une pierre blanche, translucide, mais qui à la lumière du soleil laissait apparaître dans sa composition d’aspect si pure quelque chose de troublant, mystérieux, mais en mouvement, au point d’en troubler sa composition et rendre la pierre plus laiteuse. Était-ce son mana aspiré à l’intérieur ? Ses ondes négatives que la pierre retenait pour qu’il n’en soit pas submergé ? Un pouvoir que la pierre gardait en elle ? Peut-être bien. Il n’en voyait que des effluves légèrement plus foncés tourbillonnant lentement. Était-ce son imagination ? Il n’avait jamais osé demander à quelqu’un si ce qu’il voyait était pareil pour tout le monde. Quelque part, cette part de mystère, il aimait l’entretenir. C’était comme une relation unique, privilégiée, qu’il souhaitait conserver entre le propriétaire originaire de cette pierre et lui. Un lien privé, secret, qu’il préférait garder pour lui.
En contemplant cette pierre, il partait dans une douce rêverie, se demandant une nouvelle fois ce qu’était devenue la personne qui lui avait confié cette pierre. S’il avait des espoirs de l’avoir retrouvée, il ne voulait pas trop y croire pour ne pas ressentir trop de déception s’il venait à avoir eu faux.
— Prends au moins ma pierre ! C’est mon cadeau pour m’avoir sauvé la vie ! Elle est unique, à ce qu’il parait !
Il ferma les yeux et les souvenirs revinrent. Cette petite voix, ces grands yeux pleins d’admiration et de gratitude, ce changement soudain de caractère dès que sa situation se fut améliorée grâce à lui, cette innocence teintée de maladresses et d’humour. La pierre avait atterri autour de son cou sans qu’il n’ait eu le temps de réagir. Elle lui avait alors souri et déposé un baiser à la commissure de ses lèvres. C’était la première fois qu’une fille l’embrassait. La première fois qu’une fille s’intéressait à lui. La première fois qu’il avait été gêné au point d’en perdre ses moyens, lui à qui on apprenait quotidiennement à ne jamais baisser sa garde. La première fois qu’une fille le demandait en mariage !
Il ouvrit les yeux et inspira un bon coup. Cette pierre était devenue son talisman. Si le mana de Cléry avait réagi à trois pierres lors de son initiation à la chevalerie, chez lui cela avait été différent. Seule l’obsidienne avait réagi à son mana, mais surtout, il n’avait pas prévu que cette seconde pierre interagisse plus tard avec son mana de façon si inattendue. Il était convaincu que c’était cette pierre qui le sauvait de sa propre négativité, si débordante, si féroce. Sa vie n’avait été qu’un flot continu de tristesse, de combats et de sang pour survivre. Comment ne pas être absorbé par la part sombre de son mana, comme Likone ? Il en avait acquis la certitude que cette pierre le protégeait, tel un bouclier pour ne pas se faire dévorer par ses propres démons, en plus des ondes négatives de ses adversaires. D’ailleurs, il se sentait à nu, inquiet, fragile, s’il ne la portait pas contre son plexus. Elle était devenue un indispensable à son bien-être.
Il la serra dans son poing et entendit les pas de quelqu’un marchant sur la pelouse pour venir à lui. Il se redressa. Un domestique s’avançait vers le kiosque.
— Seigneur, la Duchesse s’est réveillée. Monsieur Mills m’a demandé de vous prévenir de toute urgence.
Il s’inclina alors. Sans attendre un complément d’information, Callum se leva d’un bond et fonça vers le château.
Il dévala les marches du château, traversa les couloirs au pas de course, rasa les murs pour gagner un maximum de temps et de distance, serra chaque virage le souffle court dans un dérapage contrôlé et arriva enfin à la chambre d’Aélis. Sans même prendre la peine de frapper, il ouvrit grand la porte et la vit, debout, en pleine séance d’habillage. Margaux lui refermait sa robe dans un laçage dorsal. Aélis portait une robe fine en velours noir orné de son lacet argenté et de broderies de même couleur le long du buste. Il la trouva magnifique jusqu’à ce qu’il croise son regard et remarque sa grimace agacée.
— Et sinon, parce que vous êtes le Duc, vous oubliez les simples règles de politesse et omettez de frapper avant d’entrer ?
Callum la fixa un instant avant de sourire. Nul doute qu’elle était en forme si elle le réprimandait de la sorte dès son réveil.
— Désolé ! déclara-t-il en s’approchant d’elle. Après six jours de sieste, je commençais à croire que vous entamiez une hibernation ! Je m’attendais presque à voir un ours dans ce lit ! J’étais donc ravi d’entendre que finalement, vous ayez décidé de vous réveiller pour reprendre votre rôle de duchesse !
Aélis fit un « O. » offusqué de la bouche, auquel Callum rit légèrement.
— Laissez-nous ! ordonna-t-il à Margaux.
— Mais, Duc, je n’ai pas fini son laçage ! rétorqua Margaux, rigoureuse.
— Je m’en occuperai !
Les deux femmes restèrent muettes, mais interloquées par sa réponse. Il poussa pourtant avec panache la servante vers la sortie et referma la porte derrière elle. Il se tourna vers Aélis et combla une nouvelle fois les mètres les séparant.
— Tournez-vous ! lui ordonna-t-il.
Aélis hésita, gênée d’être habillée par un homme, mais obéit. Callum continua le laçage entamé par Margaux.
— Je serre ? demanda-t-il alors plus doucement tandis qu’Aélis pouvait sentir son souffle sur sa nuque et sur ses épaules légèrement dénudées.
— J’aimerais juste avoir le luxe de pouvoir respirer convenablement !
Callum sourit et, tout à coup, passa ses bras autour de sa taille pour la serrer contre lui. Aélis écarquilla les yeux et se figea.
— Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser.
Aélis ferma les paupières un instant avant de soupirer et de les rouvrir.
— Vous ne vouliez pas nous viser. C’était un accident.
— Je suis content de voir que vous allez bien.
Aélis sourit. Il oscillait de temps en temps entre le vouvoiement et le tutoiement quand il se voulait plus proche d’elle.
— Le docteur nous a dit que vous n’auriez pas dû survivre à un tel impact magique. Votre convalescence demeure tout aussi mystérieuse que l’absence de marque sur votre corps.
Aélis se tourna immédiatement pour lui faire face.
— Vous m’avez vue nue ? l’interrogea-t-elle alors, rouge de honte.
La jeune femme toujours enlacée dans ses bras, Callum sourit de son incommodité.
— Non ! lui répondit-il tout en frappant doucement son front du sien. Seulement Margaux et le docteur !
Un certain soulagement apparut sur le visage d’Aélis auquel Callum ne sut trouver une interprétation convenable.
— Nous étions tous inquiets. Les personnes ayant subi une telle attaque magique en dehors des chevaliers magiques ne ressortent jamais indemnes et vous êtes une femme ! Les dommages auraient dû être graves ! Pour plus de sécurité, je vais demander au docteur qu’il vous surveille quotidiennement.
— Je vais bien ! répéta Aélis, un peu agacée qu’on ne la croie pas. Je ne veux pas de surveillance de ma santé !
— Vous avez eu beaucoup de chance ! s’exclama Callum, inquiet.
Aélis s’éloigna de lui et s’approcha du lit.
— Vous croyez ?
Callum observa son dos orné de son laçage avec intérêt.
— À quel moment voyez-vous de la chance ? lui demanda-t-elle.
Elle attrapa alors le coussin sur lequel elle avait dormi durant six jours.
— Lorsque je découvre que mon mariage est le théâtre d’un affrontement ?
Elle se tourna alors et le frappa avec.
— Lorsque l’homme devenant mon mari semble savoir que cette attaque allait avoir lieu lors de cet événement et qu’il a préféré me le cacher ?
Elle frappa une nouvelle fois Callum de son coussin. Surpris par sa colère soudaine, Callum para le coussin de son bras qu’il utilisa comme bouclier.
— Lorsque je me rends compte que tout le monde savait sauf moi ?
Callum para un nouveau coup de coussin sur la tête, mais Aélis fut plus maline et en donna un second sur sa hanche qu’il ne put esquiver.
— Ou lorsque je découvre Sampa au milieu du champ de bataille alors qu’il est blessé et que je ne l’avais pas autorisé à reprendre ses fonctions ?
Les coups tombèrent sur Callum qui se contenta de reculer devant sa fougue.
— Comment avez-vous pu me… me mettre à l’écart de la sorte ?! cria Aélis, folle de rage à présent.
La colère fit place néanmoins rapidement à la déception. Callum put y voir un début de chagrin dans ses yeux meurtris par le sentiment de trahison.
— Je devais m’assurer que l’effet de surprise demeure pour qu’ils ne se doutent pas qu’on les attendait ! se justifia le Duc. Je n’avais pas le choix !
— On a toujours le choix ! répondit Aélis tout en lui donnant un nouveau coup de coussin. Je croyais qu’on était d’accord sur l’arrêt des secrets et des mensonges, sur le partage des informations entre nous pour la bonne marche d’Althéa.
Un nouvel assaut vint frapper le bras de Callum. Il recula encore et alla s’écraser sur la coiffeuse, balayant au passage quelques produits de beauté qui tombèrent au sol.
— Vous ne m’avez pas fait confiance !
La respiration saccadée et les larmes dévalant ses joues, Aélis laissa tomber le coussin au sol.
— Encore une fois, vous m’avez ignorée.
Callum baissa son bras et constata l’infinie tristesse se dégageant des paroles et de l’attitude de son épouse.
— Et vous osez vous excuser ensuite de m’avoir blessée avec votre magie ?
Elle tenta alors d’essuyer ses larmes et s’esclaffa, terrassée par l’amertume.
— Vous m’avez blessée bien avant cet accident magique ! Inutile de vous inquiéter pour moi tout à coup ! C’est trop tard !
Callum se releva et frotta ses vêtements pour les remettre en place. Il soupira, comprenant sa punition soudaine.
— C’est vrai, j’avais le choix. Dire à la femme qui devait m’épouser de force, que son mariage allait devenir en plus une excuse pour un affrontement dont elle était étrangère, que sa vie serait en danger, que son mariage serait gâché et sans doute incomplet, que des gens qu’elle aimait risquaient de mourir… C’est ça que vous vouliez entendre ? Vous, la jeune fille innocente qui rêve du mariage de ses rêves avec un homme sans doute merveilleux en tous points ? Vous oseriez me dire que vous auriez été capable de jouer la comédie en sachant tout cela ?
Tous deux se fixèrent, jouant le besoin de camper sur ses positions. Aélis s’éloigna de lui à nouveau et alla vers la fenêtre.
— Et donc vous estimez que le résultat actuel vaut mieux que de me l’avoir dit dès le début ?
Callum se frotta les cheveux et baissa la tête. Effectivement, ce résultat n’était pas des plus agréables non plus.
— J’aurais préféré un mariage plus calme également. Il n’est jamais agréable de jouer avec la vie des gens… J’aurais préféré également voir un début de bonheur sur votre visage plutôt que cette tristesse. Je suis désolé.
Aélis serra ses bras de ses mains, comme pour se réconforter de l’absence de douceur et de délicatesse dans ce résultat. Callum soupira de dépit.
— Sampa va bien. Il se repose… dans une chambre. Je lui ai octroyé ce droit, vu qu’il vous a protégée.
Aélis leva les yeux, atterrée par sa magnanimité soudaine.
— Dois-je en plus vous remercier pour lui de ne pas l’avoir renvoyé au cachot ?
Callum sourit en la voyant ironiser de la sorte. Elle était dure en négociation pour enterrer la hache de guerre.
— Il a souhaité se battre quand je lui ai dit qu’Althéa risquait d’être attaquée. C’est un soldat. Il a compris que son devoir l’appelait et que le danger risquait de s’abattre sur sa maîtresse. Je ne l’ai poussé à rien.
— Vous lui avez parlé de votre plan. Vous l’avez donc implicitement poussé à se battre plutôt que de passer pour un faible.
— Il a été sauvé de l’exécution contre la promesse de votre protection coûte que coûte. Sa survie n’a pas d’intérêt si elle ne répond pas aux raisons pour lesquelles elle est effective.
— Sa survie est de mon ressort, pas du vôtre.
— Son être tout entier dépend de son maître à partir du moment où il m’a prêté allégeance.
— Sauf que cette allégeance a été revue et annulée par la mienne.
— On n’annule jamais l’allégeance au seigneur de son fief, sauf si ce dernier le répudie. Autrement dit, je reste son ordonnateur. J’ai juste autorisé qu’il vous prête allégeance et vous serve également. Disons que je vous le prête et que donc, si je demande qu’il se lève pour vous protéger, il se doit d’obéir.
Aélis se tourna et revint à ses côtés. Le regard plus décidé que jamais, elle sourit et le jaugea.
— Pouvons-nous dire qu’à partir du moment où l’on se marie, on se prête allégeance l’un à l’autre ? Et que par conséquent, si j’ordonne d’être la seule décisionnaire du sort de Sampa, votre allégeance pour moi prend effet ?
Callum haussa un sourcil et s’esclaffa.
— Tout comme je peux dire que ma femme me doit allégeance quand il s’agit de mon souhait de la protéger coûte que coûte si j’estime qu’Althéa court un danger.
Aélis se mordit la lèvre, agacée de ne pas trouver de réparties à ses propos pouvant le faire taire. La crispation d’Aélis redonna de l’élan à Callum pour retomber sur ses pattes.
— Sauf si cette dernière arrive à me convaincre de céder à ses exigences les plus folles…
Il lorgna sur les lèvres de sa nouvelle épouse quelques secondes durant lesquelles Aélis comprit ses insinuations.
— Mais encore faut-il que ma chère épouse ait de quoi faire fléchir mon petit cœur de Chevalier de Sang ! Pas gagné !
Il lui fit un clin d’œil amusé. Aélis lui attrapa alors la chemise et déposa ses lèvres sur les siennes. Le baiser fut bref, mais suffisamment efficace pour surprendre Callum. Elle se détacha de lui, puis essuya sa bouche d’un revers de bras, avant de revenir poser sa main sur le cœur du Duc battant à tout rompre contre sa poitrine. Aélis se mit alors à sourire tandis qu’il lorgnait sur cette main touchant son cœur.
— Petit cœur de marbre semble bizarrement réagir tout à coup ! lui chuchota-t-elle, d’un minois de vainqueur. J’en déduis que j’ai gagné !
Elle quitta alors la pièce, laissant le Duc sur cette défaite inattendue.
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LOMCTR T2 : Le Démon et la Protectrice – chapitre 1
Voilà une petite surprise en avant-première pour les abonnés : le chapitre 1 du T2 de LOMCTR !
Souvenez-vous, Aélis reçoit de plein fouet l’orbe magique de Callum par accident alors qu’il était en plein combat contre Khan, un chevalier magique à la solde de Gésar, frère du Roi et chef des brigands voleurs de pierres, et qui a attaqué avec ses hommes Althéa pendant le mariage de Callum et Aélis.
Voici donc la suite avec ce chapitre 1
©Jordane Cassidy – 2023
1
Les souvenirs nous rappellent ce qui est important.
— Aidez-moi ! S’il vous plait ! À l’aide !
Trois silhouettes de garçons s’approchèrent.
— Ne me faites pas de mal ! cria la voix de l’enfant recroquevillée sur elle-même.
— Tu peux crier à l’aide ! Ici, personne ne viendra à ton secours. Un monstre comme toi n’a pas sa place au royaume d’Avéna. Les monstres, on les supprime !
Les coups de pieds s’abattirent sur le corps frêle de l’enfant qui pleura tout en tentant de se protéger de ses bras.
— Regardez-moi ces cheveux ! Depuis quand les enfants ont-ils des cheveux gris ? Tu es une vieille qui refuse de vieillir ?
Des rires fusèrent.
— C’est une sorcière ! Elle va nous jeter un sort comme elle l’a fait sur son visage et son corps ! Elle peut nous transformer en bébés !
— Non ! Je ne ferai jamais ça ! pleura l’enfant. Je ne sais pas faire ça ! Je ne vous veux pas de mal !
— C’est ça ! railla l’un des garçons. On va te croire, sorcière ! Ta mère est une sorcière, tu ne peux qu’en être une également !
— Ma maman n’est pas une sorcière !
— Bien sûr qu’elle l’est ! fit un second garçon. Mon grand-père m’a dit que vous êtes toutes les deux de la lignée de la Protectrice ! Si avec ça, tu n’es pas une sorcière ou un démon, tu es quoi ?!
— Je ne sais pas de quoi vous parlez ! cria l’enfant tout en se cachant les oreilles de ses mains et en fermant les yeux. Je ne connais pas de Protectrice !
— Menteuse ! cria le troisième tout en lui assénant un nouveau coup de pied. Les Protectrices ont été décimées à ce qu’il parait ! Il semblerait qu’il en reste encore au moins deux !
— Débarrassons-nous d’abord d’elle ! fit l’un d’eux.
D’un commun accord, les trois silhouettes de garçons la frappèrent alors que la jeune fille, le visage sale, était acculée et à terre contre un rocher. La terreur ancrée en elle, elle hurla. Un des garçons lui attrapa le bras pour la relever.
— Viens-là, sale monstre !
Aélis se réveilla dans son lit en sursaut et s’assit. Son cœur palpitait dans sa poitrine. La sueur sur son front lui rappela combien ce souvenir lui était encore douloureux et oppressant. Le traumatisme du harcèlement dont elle fut victime depuis l’enfance ne la quitterait jamais. Elle le savait. Combien de cauchemars avait-elle faits depuis ? Sa seule certitude était que rien ne s’était vraiment arrangé en grandissant. Elle subissait juste moins d’attaques physiques. Les brimades et les chuchotements avaient accompagné bon nombre de ses déplacements. C’était d’ailleurs une des raisons pour laquelle sa mère sortait de leur château avec sa chevelure couverte jusqu’il y a peu encore malgré son âge plus avancé, et qu’elle-même évitait le plus possible les gens, même si son père l’encourageait à l’inverse, estimant que vivre pleinement n’était pas de rester cloîtrée chez soi. Si la chevelure cendrée de sa mère choquait de moins en moins les badauds et les nobles avec l’âge, se fondant davantage dans une normalité liée à la vieillesse, pour Aélis, vieillir rapidement n’était pas pour bientôt. Elle maudissait ses cheveux. Elle avait voulu les teindre, les couper, mais elle avait fini par comprendre que les cacher ne résoudrait pas la méfiance des gens à son égard. Sa mère, Christa de Middenhall, avait toujours eu ce regard triste. Pour sa fille comme pour elle. Son expérience passée lui faisait comprendre la sourde colère de sa fille face à l’injustice dont elle était la victime. Elle la subissait aussi, mais ne trouvait aucun conseil pertinent à lui donner pour faire face. Chacune avait fini par se faire à l’idée que seule une poignée de gens serait de leur côté et que c’était auprès d’eux qu’elles devaient trouver l’envie de vivre. Pour sa mère, ce fut auprès de son père, Fergus, et du Roi Mildegarde. Pour Aélis, auprès de sa famille et quelques rares alliés à la famille. La raison pour laquelle elle se méfiait toujours des gens était qu’elle savait que la mesquinerie était un mal bien plus pernicieux que les sourires qu’on lui avait offerts.
Mais pour « lui », tout avait été différent. Elle n’avait pas eu à douter de lui. Elle n’avait pas eu peur de ses intentions. Elle avait immédiatement senti qu’elle pouvait se reposer sur sa bravoure et sa gentillesse. Lui, son sauveur…
Très vite, son cœur retrouva un rythme acceptable en pensant à la suite. La main sur sa poitrine, Aélis retrouva le sourire. Un souvenir aux allures de cauchemar, mais qui finissait sur une conclusion douce-amère pour elle.
— Hey ! Les gars ! À quoi jouez-vous avec cette gamine ?
Les trois garçons avaient alors interrompu leur règlement de compte sur sa personne et s’étaient tournés vers la voix masculine qui venait de les interpeller. Un autre garçon se tenait là, à quelques mètres. Celui qui allait être son espoir, son sauveur et son garde-fou pour ne pas sombrer dans la folie était apparu. Un peu plus grand qu’eux et plus âgé, il était seul, mais ne semblait pas impressionné par les trois autres.
Aélis ne se souvenait pas bien de son visage. Elle se souvenait seulement de combien il était sûr de lui, imperturbable devant eux. Elle se rappelait son corps fin, mais athlétique. Ses bras découverts plutôt musclés pour son jeune âge. Sa tenue était complètement différente des autres garçons. Pas de chaussures, de pantalon en toile et de chemise, mais un pantalon en cuir marron, un haut en cuir assorti et des bottes. Il ne semblait pas être comme les enfants de Piléa, le fief de sa naissance. Il avait un côté rebelle, bagarreur, mais d’une autre trempe que celles de ses agresseurs. Elle avait envié cette façon de n’avoir peur de rien. Elle avait envié ce charisme qu’il dégageait juste en se tenant droit, debout devant eux, les bras croisés. Il restait indifférent à leur ton menaçant, il semblait même en rire intérieurement. Malgré sa terreur d’avoir été battue, elle avait ressenti un soulagement en le voyant. Elle ressentait ce répit encore aujourd’hui en repensant à lui.
— Va voir ailleurs ! Ça ne te regarde pas ! avait lancé un des trois.
— On est paumés au milieu de nulle part et il faut encore qu’on arrive à nous interrompre ! avait râlé celui qui avait soulevé Aélis.
Il l’avait alors lâchée comme un vieux sac et s’était avancé vers le garçon.
— Va voir ailleurs ! lui avait répété le garçon d’un ton dur, mais dont son opposant n’avait pas paru vouloir en tenir compte.
— Elle pleure. Pourquoi lui faites-vous du mal ?
— Mêle-toi de tes affaires !
Son harceleur avait alors tenté de lui toucher le torse pour le pousser, mais son sauveur avait anticipé son intention. Aélis se souvint encore de ce retournement de situation incroyable. Son bienfaiteur lui avait attrapé le bras de ses deux mains en réponse, avait ensuite fait un demi-tour sur lui-même et avait fini par le basculer par-dessus son épaule. Son assaillant s’était écrasé au sol, sur le dos, sans comprendre comment il avait atterri ainsi.
— Vous m’avez empêché de faire ma sieste ! Cela devient donc mes affaires !
C’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un mettre au tapis ceux qui la maltraitaient. Attristée de ne pouvoir aujourd’hui qu’entretenir ce souvenir, Aélis serra le drap du lit avec amertume.
Le regard dur, son allié s’était ensuite tourné vers les deux autres garçons encore debout.
— Pourquoi vous lui faites du mal ? avait-il redemandé d’un ton plus grave.
— Elle a les cheveux gris ! C’est… c’est une sorcière ! avait rétorqué l’un des deux tout en la montrant du doigt, mais non sans craindre une attaque de sa part selon la réponse.
Le garçon l’avait alors regardée, elle et ses fameux cheveux gris. Trop effrayée d’être à nouveau le centre d’attention de tous, elle avait baissé les yeux et avait tenté de cacher sa chevelure sous ses bras. Elle n’avait pas osé lui montrer combien elle souffrait. Pourtant, il avait continué à prendre sa défense.
— Si elle était vraiment une sorcière, cela ferait bien longtemps qu’elle vous aurait jeté un sort, vu comme vous la maltraitez et comment elle parait terrifiée.
Les deux avaient regardé alors Aélis, tremblante, recroquevillée sur elle-même, se cachant la tête avec ses mains et ses bras. L’autre garçon avait finalement décidé de se relever et de prendre la poudre d’escampette. Abandonnés par leur ami, les deux autres l’avaient rejoint dans sa fuite quelques secondes après.
Aélis observa la pièce dans laquelle elle se trouvait à présent. Sa chambre. Pas celle du château de ses parents, mais à Althéa. Althéa… Des souvenirs plus présents revinrent à elle. Le mariage avec le Duc Callistar, l’attaque, Sampa, Cléry et Finley, et puis Margaux qui devait être sauvée. Et puis plus rien. Elle soupira. Elle se toucha les côtes, là où elle avait senti l’impact de l’orbe magique contre son corps. Elle souleva ses vêtements et remarqua qu’elle n’avait aucune marque hormis sa blessure au coude. Elle s’en étonna. Elle avait pourtant bien senti l’énergie magique la pénétrer violemment au moment de l’impact.
— Mon corps absorbe sans doute mieux les coups aujourd’hui, à force d’en prendre…
Elle regarda à nouveau autour d’elle. Tout semblait calme. Elle était dans un lieu plutôt sûr, loin du tumulte auquel elle avait participé avant qu’elle ne tombe à terre.
— La bataille est donc finie ?
Elle sortit de son lit et se couvrit les épaules d’un châle. Ses vêtements n’étaient plus les mêmes. Combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle avait perdu connaissance ? Elle jeta un œil par la fenêtre. Le jardin était vide. Plus d’habitants d’Althéa rassemblés ici pour les protéger. L’ordre semblait être revenu. Elle décida de quitter sa chambre et de trouver plus d’informations. Elle ouvrit la porte et s’avança lentement dans les couloirs du château avant qu’elle ne tombe sur Margaux.
— Duchesse ! s’écria-t-elle, le visage surpris, mais heureux. Vous êtes réveillée ?!
— Bonjour Margaux !
Margaux se précipita sur elle et posa ses mains sur les épaules d’Aélis, plus inquiète.
— Comment vous sentez-vous ? Vous ne devez pas vous lever ! Il vaut mieux attendre l’avis du médecin.
— Je vais bien !
Margaux fronça les sourcils et lui fit faire un demi-tour.
— Vous avez encaissé une attaque d’une grande violence. Vous ne devez pas sous-estimer votre corps. Retournez à votre chambre. Je vais prévenir tout le monde de votre réveil.
— Mais…
Margaux la poussa vers sa chambre, laissant le protocole de côté au profit de l’inquiétude sur la santé de la Duchesse.
— S’il vous plait, Duchesse ! Je me sens déjà suffisamment responsable de votre état. Ne me laissez pas couver plus d’inquiétude.
Aélis ferma les yeux et soupira. Elle accepta finalement de retrouver sa chambre.
— Je vous dois la vie, Madame. Vous n’auriez pas dû prendre un tel risque pour moi. Votre vie vaut bien plus que la mienne.
Aélis cessa sa progression vers la chambre et fronça à son tour les sourcils.
— Il n’y a pas de vie plus ou moins importante qu’une autre. Une vie est une vie. Chacun entraînera dans sa mort le chagrin de ses proches. Croyez-vous que le chagrin de vos parents est moindre face à celui des miens ? Il serait le même. J’ai agi sur le moment sans vraiment réfléchir à la suite. Vous êtes importante à mon quotidien. Il était normal pour moi de vous protéger. J’en avais fait en plus la promesse à votre père ! Je ne voulais pas perdre quelqu’un de gentil avec moi. J’ai peut-être agi égoïstement aussi, mais je refuse que le chagrin m’assaille de ne plus vous avoir à mes côtés tout comme je refuse de voir la tristesse de votre père quand il m’aurait croisée en ville si je vous avais laissé mourir. Par ailleurs, je suis vivante, donc tout va bien.
Margaux baissa les yeux, touchée par les mots de sa maîtresse.
— Merci, Madame.
Elle s’inclina alors, puis releva la tête avec un grand sourire.
— Moi aussi, je suis heureuse d’être à vos côtés.
Aélis esquissa alors un sourire ravi.
— Mais je pense que celui qui va vraiment être heureux de vous voir aujourd’hui à ses côtés sera le Duc !
Aélis se mit à rougir à la mention du Duc. Elle avait presque oublié qu’elle était à présent mariée et qu’elle avait un époux susceptible de s’inquiéter. Puis elle se rappela comment son mariage avait tourné au vinaigre. La colère la gagna.
— Il ne le sera plus quand je vais exiger de lui quelques explications concernant mon mariage raté !
LOMCTR – T1 : Pour le meilleur. Pour le pire. – Chapitre 5
Bonjour à tous !
Chapitre 5 !
Ouais, le week-end a été mouvementé -_-.
Je crois qu’on a tous eu un pic d’angoisse en ce vendredi soir/samedi matin avec ce crash de site. Enfin surtout moi ! Je vous poste bien gaiement le chap 4 et là, pouf ! C’est le drame ! J’oscille entre réparer le site et trouver vite un plan B. Heureusement que le problème a vite été résolu. J’angoisse toujours quand le site tombe en panne. J’imagine vite tout le travail autour partir en fumée si je tente une mauvaise manipulation pour rectifier la panne. Ça peut aller très vite. Après, les différents crashs occasionnels du site me permettent aussi d’apprendre à gérer ce type d’état de crise où je dois éliminer les possibilités calmement , me rappeler les erreurs à ne pas faire et les choses à vérifier. Mais bon, je n’aime pas ça quand même parce que ça tombe toujours quand il ne faut pas !
Mais bon ! On est dimanche et le site est opérationnel, le chapitre 5 est là et tout va bien ! Certaines commencent à se languir de pouvoir enfin rencontrer notre cher Callum Callistar ! Vous êtes comme notre Aélis ! Un héros ne se qualifie-t-il pas par ce charisme présent dans l’atmosphère même lorsqu’il est absent physiquement ?
Mais parfois il suffit d’un hasard pour qu’on tombe dessus !
Enjoy !
©Jordane Cassidy – 2022
5
Une vie
pour une autre
Sa rencontre avec Finley avait fait du bien au moral d’Aélis. Elle n’avait pas ressenti de défiance chez lui, du moins pas comme avec certains domestiques du château. Cela la soulagea de pouvoir enfin rencontrer une nouvelle personne, en plus de Mills, ne la traitant pas comme une femme arriviste ou une entremetteuse. Finley ne l’avait pas non plus jugée avec dégoût ou crainte au moment où elle avait perdu sa capuche. Il n’avait pas accentué son hostilité ou montré une nouvelle méfiance en découvrant sa différence, à la vue de sa chevelure si spéciale. Elle avait pu respirer un peu mieux ensuite, même si ce chevalier restait en période de test à ses yeux. Elle avait apprécié leur discussion légère, malgré son statut de duchesse. Malgré tout, elle espérait sincèrement pouvoir compter sur lui et qu’il n’avait pas feint une comédie pour mieux la trahir derrière.
Aélis rentra donc au château pour regagner sa chambre, l’esprit plus léger. Elle retrouvait un peu d’espoir dans sa vie si chaotique. Plus elle repensait à leur discussion, plus elle se demandait s’il était vraiment son bras droit et à quel point Finley avait une complicité avec le Duc. Après tout, il avait dû partager nombre de batailles avec lui et sans doute les atrocités liées à sa réputation. Pourtant, à première vue, Finley semblait assez jovial et loin d’être un chevalier sans pitié. Qui croire alors ?
Tout cela lui triturait les méninges. Mais cette réflexion tourna court lorsqu’elle arriva devant la grande porte du château et qu’elle vit les deux gardes à terre, l’un visiblement mort, le second à genoux, prêt à être exécuté par la grosse épée d’un guerrier couvert de la tête aux pieds par son armure. Mais ce qui la refroidit le plus fut l’armure elle-même. Fidèle aux descriptions de la rumeur : un casque noir et de longs poils en guise de crinière.
Elle frémit. Le doute avait peu de place quant à l’identité du guerrier. Il y avait quelques soldats autour, observant l’exécution ainsi que quelques badauds, résignés à voir leur seigneur accomplir ce qui semblait être un châtiment. Et puis, elle aperçut Mills, le visage désolé.
— Voilà donc mon futur mari en chair et en os… murmura-t-elle à elle-même.
Elle ne put que reconnaître l’imposante carrure que cette armure lui conférait, cette puissance palpable par l’ambiance mortifère qu’il dégageait. Elle déglutit et se figea. Pouvait-elle rentrer au château en passant à côté de lui sans prêter attention à ce qu’il se passait ? Il était évident que non. Plus important : pourquoi un garde était à terre et pourquoi menaçait-il de son épée le second pourtant à genoux ?
Elle ne savait pas quoi faire. Aller au contact ou attendre que la situation s’efface de ses yeux ? Plus elle regardait Mills tentant de parler au Duc, plus elle comprenait qu’il essayait de raisonner son seigneur. Pourquoi était-il en colère contre ces deux gardes ? Quelle erreur avaient-ils commise ? Elle se raidit un peu plus, en redoutant la raison.
— Est-ce moi la cause de tout cela ? Ma disparition du château sans escorte ?
Elle se précipita sans réfléchir devant le château. Elle monta les marches de l’escalier, sans vraiment penser aux conséquences et la respiration saccadée, puis attrapa le bras de ce guerrier menaçant. Pouvait-elle penser qu’elle pouvait l’arrêter dans son exécution ? C’était d’une stupidité évidente ! Et pourtant, elle stoppa son geste en se glissant sous son épée et en retenant de ses deux mains la garde de son glaive alors qu’il s’apprêtait à le laisser tomber sur ce pauvre homme. Les yeux fermés, elle n’osa pas regarder le résultat. Avait-elle pu le retenir suffisamment ? Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle vit deux iris rouges. Un rouge sang qui la liquéfia sur place au point de reculer et trébucher. Elle se retrouva les fesses au sol sans comprendre pourquoi elle se sentait paralysée devant ce regard. Sans vraiment le vouloir, elle tremblait. Cet homme lui faisait peur. Elle entendait Mills lui crier avec surprise « Madame, vous revoilà enfin ! », mais sa voix lui paraissait lointaine. Elle était happée par ce regard froid, intense, envoûtant. Rouge passion, rouge colère ou rouge assassin, elle n’arrivait pas à décrocher ses yeux de ces deux pupilles qui la fixaient. Mills vint alors s’interposer entre le Duc et elle, et se pencha pour la relever. Elle le contempla d’un air hébété. À vrai dire, elle n’arrivait plus à bouger. Ses jambes étaient aussi flageolantes que son cœur. Elle était une brindille face à un immense chêne. Elle se sentait minuscule, minable, tel un rongeur devant la superbe que dégageait le rapace prédateur, le Duc Callum Callistar. Elle ne voyait rien de son visage hormis ses yeux, mais elle sentait la colère, la rage brute, l’envie de destruction. Une aura rouge et noire l’entourait, prête à l’engloutir. Elle en venait à se dire que cette puissance magique allait la tuer avant son épée.
— Madame, ne vous interposez plus ainsi ! Vous auriez pu être blessée !
Mills la fit revenir un peu à la réalité. Elle regarda un instant son corps. Effectivement, elle n’avait pas de blessures apparentes alors qu’elle avait l’impression d’avoir été broyée par ses deux iris rouges. Son regard dévia ensuite vers le second garde. Il semblait toujours en vie, mais complètement sonné également. Sa vie venait de prendre un répit inattendu grâce à elle, mais pour combien de temps ? Ses yeux allèrent alors vers son bourreau et elle trembla à nouveau. Il avait baissé son épée, mais ses yeux restaient toujours rivés sur elle. Mills lui parlait avec délicatesse, pour qu’elle reste ancrée à lui plutôt qu’à l’homme qui lui servait de maître. Elle se laissa tirer vers le haut pour se relever, mais elle ne se sentit pas de taille. Le Duc Callistar l’horrifiait et elle réalisa combien la rumeur était fondée quant au côté terrifiant.
— Venez ! Ce n’est pas un spectacle auquel une dame de votre rang doit assister.
Elle sentit Mills la tirer loin de la scène, mais ses pieds refusèrent de quitter les lieux.
— Pourquoi doit-il mourir ? Qu’a-t-il fait ? eut-elle la force de demander.
Dans un état second et prise d’un élan de justice lui donnant la force de s’arracher de la poigne de Mills, elle se hâta de s’interposer une nouvelle fois entre le garde et le Duc. Les bras en croix, elle se posa en bouclier tout en réalisant difficilement que cet acte risquait de la mener à la mort, avec celle du garde. Pourtant, elle restait droite et fière.
— Cet homme a failli à sa mission !
La voix du Duc arriva enfin à ses oreilles. Elle était grave, ferme, assurée. Ses premiers mots qu’il lui adressait n’avaient rien de gentils, polis ou désolés.
— Un intrus est entré sans permission ? creusa-t-elle malgré tout, essayant de garder le flegme lié à son rang.
— Vous êtes sortie du château sans autorisation ! lui répond-il tout aussi flegmatique sous son armure.
— Madame, vous avez quitté le château sans prévenir ! intervint Mills, contrit. Vous ne devez pas sortir sans escorte. Les gardes ont aussi pour rôle de vous protéger, or ils vous ont laissée quitter le château sans réagir.
Elle jeta un coup d’œil vers le corps à terre du premier garde. Cet homme était donc mort par sa faute. Parce qu’elle avait voulu jouir d’une liberté qui n’aurait pas dû être possible. Son sang se répandait au sol et elle en avait la nausée. Une vie éteinte à cause de ses envies d’indépendance. Elle se tourna alors vers le second garde, derrière elle et toujours à genoux. Il la fixa à la fois avec reconnaissance, peur et admiration. Elle se retrouvait à la croisée du protocole de la noblesse, entre être la protectrice des habitants d’Althéa et être la cause des sacrifices portés pour protéger cette noblesse qu’elle représentait. Elle serra les dents. Cette situation lui déplaisait lourdement. Si elle avait eu conscience de ce que pouvait représenter le protocole grâce à l’éducation qu’elle avait eue durant sa jeunesse, aujourd’hui, elle en cernait réellement les enjeux.
— Je refuse que cet homme soit exécuté ! cria-t-elle alors. S’il y a quelqu’un à punir, c’est moi !
— Madame ! s’offusqua Mills, comme si ses propos étaient inconcevables dans la bouche d’une dame.
Et pourtant, elle maintint sa position.
— Cet homme est sous ma protection désormais ! S’il doit me protéger, je le protègerai aussi !
Le Duc la fixa de ses yeux rouges sans bouger. Elle sentit couler sur elle une forme d’intérêt teinté d’agacement dû à cette insubordination déplaisante, mais elle se devait de sauver cet homme.
— Si vous touchez à l’un de ses cheveux, je peux vous assurer que le Chevalier de Sang va goûter à la colère de la Duchesse Vengeresse !
Le Duc tout à coup relâcha sa garde et s’esclaffa. Son aura rouge et noire disparut. Sans doute avait-elle exagéré sur le surnom qu’elle s’était donnée et qui pouvait paraître ridicule, d’autant plus qu’elle demeurait un poids plume face à cet homme, mais elle avait ses convictions pour elle. Il pouvait certes la faire taire d’une claque bien sentie sur le visage, mais elle espérait pouvoir garder sa volonté de protéger ce garde comme acquise.
Mills la dévisagea, incrédule. Sans doute, n’imaginait-il pas une dame de cet acabit comme maîtresse, mais c’était ainsi ! Il était hors de question pour elle que l’on exécute un homme à cause de ses caprices de duchesse.
— Voilà donc celle qui doit devenir ma femme ! put-elle entendre alors sous le heaume du Duc.
— Enchantée ! lui répondit-elle de façon altière. Voici donc mon futur époux ! Il était temps ! Je me suis résolue à vous chercher dans tout Althéa puisque vous m’ignoriez ! J’ai même failli me perdre à force de vous attendre et d’espérer vous rencontrer !
Aélis savait bien que ses provocations allaient attiser davantage sa colère, mais elle se rendait compte que la sienne avait besoin d’être extériorisée, Duc sanguinaire ou pas !
— Heureusement, j’ai pu retrouver mon chemin jusqu’au château ! ajouta-t-elle avec sarcasme.
— Madame, s’interposa Mills, votre retour nous soulage aussi. Peut-être êtes-vous fatiguée et désirez-vous vous détendre autour d’une collation ?
— Effectivement ! approuva le Duc. Il vaudrait mieux que vous lui offriez une collation plutôt que je lui offre mon épée sur ses nobles fesses pour calmer son esprit belliqueux !
Il baissa alors sa tête vers le garde à genoux tandis qu’Aélis s’offusquait de sa menace.
— Il semble que ton heure ne soit pas venue, Garde. Tu peux t’estimer être un miraculé. Tu es bien l’un des rares dont j’épargne la vie. Tu as tout intérêt de donner à présent ta vie entière à cette Dame.
Le garde se prosterna alors au sol en remerciement de la clémence de son maître. Le Duc s’avança alors vers sa future épouse et Aélis sentit à nouveau toute son aura l’entourer.
— Ne pensez pas que ma clémence se reproduira. Mon indulgence d’aujourd’hui est seulement mon cadeau de bienvenue ici. Il n’y en aura pas d’autres.
Il passa alors à côté de sa promise et s’éloigna vers l’intérieur du château. Son avertissement résonna en elle comme une menace glaçante la renvoyant à son statut de femme inutile, simplement bonne à perpétuer la lignée. Elle laissa retomber ses bras puis sentit les larmes lui monter aux yeux. Ses jambes l’abandonnèrent définitivement et elle s’écroula au sol une nouvelle fois. Mills vint à elle, inquiet, ainsi que le garde à qui elle avait sauvé la vie.
— Madame la Duchesse, est-ce que ça va ? lui demanda le garde.
Elle le contempla dans un état second. Elle réalisa combien cette confrontation l’avait lessivée et combien le Duc était un homme terrifiant. Mills lui tendit un mouchoir en tissu pour essuyer les larmes qui dévalaient ses joues. Le garde se prosterna alors devant elle.
— Merci, Duchesse, d’avoir sauvé ma vie…
<= Chapitre 4 Chapitre 6 =>
LOMCTR – T1 : Pour le meilleur. Pour le pire. – Chapitre 4
Bonjour à tous !
Chapitre 4 !
Aujourd’hui, nous découvrons Finley ! Ouais, encore un nouveau personnage. Mon petit Fin…
Je commence enfin à avoir quelques-uns de vos retours sur ces 1ers chapitres. Que vous arrive-t-il ? Vous êtes timides ou quoi ? Voyons, depuis le temps ! Pas de ça entre nous, voyons ! Dites-moi ce qui traverse votre esprit à la fin de lecture !
( L’onglet « commentaire » en bas est opérationnel !)
(Un clic sur les étoiles d’évaluations ne coûte rien et fait une heureuse => moi en l’occurence ! ^_-)
(Rendez mon weekend joyeux svp !)
Je sais que certains.es attendent la sortie effective du livre ( l’annonce bientôt !) pour éviter la frustration, mais ça a aussi du bon de lire au compte-gouttes pour faire monter l’eau en ébullition, pour amorcer le tsunami, pour finir avec un ouragan dévastateur d’émotions une fois le bouquin dans les mains !
Ouais, je m’égare… On a dit : » le chap 4 ! ». Restons concentré.e.s…
Enjoy !
©Jordane Cassidy – 2022
4
Le hasard
fait les rencontres
Aélis sursauta et se sentit tout à coup paniquée en voyant l’homme derrière elle, comme si elle avait commis la pire faute qu’il soit.
— Pardon ! Je ne veux pas de mal à ce cheval, je vous assure !
Aélis recula, effrayée d’hypothétiques représailles.
— Vous n’avez effectivement pas l’air d’une voleuse ! lui dit pour la rassurer le garçon prétendant se nommer Finley.
— Non, j’étais simplement curieuse de voir les chevaux et celui-ci est particulièrement beau !
— Vous trouvez ? lui demanda-t-il avec un grand sourire qui la soulagea un peu. Je trouve aussi ! Remarquez, c’est normal puisque c’est mon cheval !
Il lui caressa le museau tout en l’affublant de petits noms tendres : ma petite fraise, mon petit marron, ma jolie luciole. Aélis le regarda alors avec plus de méfiance, bien qu’il semblât vouloir être plus sympathique avec elle que belliqueux. Elle savait que la douceur pouvait aussi cacher plus de sournoiserie.
— Je croyais qu’il s’appelait Lutès ?! demanda-t-elle.
— C’est son nom effectivement !
Aélis contempla le cheval, et en particulier chercha ses parties génitales pour confirmation.
— Alors pourquoi des surnoms… féminins ? C’est bien un mâle, non ?
— Oui, cela en est un ! s’en amusa Finley devant son air circonspect. C’est un très bon reproducteur d’ailleurs ! Il a déjà eu trois enfants.
— Mais vous l’appelez pourtant « ma petite luciole »… rétorqua Aélis, sceptique.
Finley se mit à rire.
— J’aime le taquiner ! lui chuchota-t-il en s’approchant de l’oreille de la jeune femme, comme si le cheval pouvait l’entendre et s’en vexer. C’est ma façon de créer notre complicité !
Elle observa le cheval, perplexe, se demandant vraiment si Lutès pouvait comprendre le sens de chaque surnom et s’en fâcher. Le cheval lui donna alors des petits coups de tête qui semblaient montrer l’affection de l’animal pour son maître et confirmer ses dires. Aélis sourit alors et relâcha sa méfiance. Finley semblait bien être son maître.
— Et vous êtes… chevalier ? l’interrogea-t-elle, plus soulagée.
Finley la fixa plus attentivement.
— Chère Aélis, qui êtes-vous ? Tout le monde sait qui je suis ici, sauf vous visiblement ! D’ailleurs, c’est la première fois que je vois une aussi belle femme dans les alentours ! D’où venez-vous ?
Sa question la désarçonna, et pourtant elle n’était pas sur le dos de Lutès !
— Veuillez pardonner ma méconnaissance de cette ville et de ses habitants. Je ne vais pas vous déranger plus. Je ne souhaitais pas vous mettre mal à l’aise.
Elle s’inclina et le contourna pour le quitter. Elle se rendit compte qu’elle avait peut-être été vraiment imprudente en quittant le château. Même si Mills lui avait assuré de la sécurité d’Althéa, elle restait une femme, en l’occurrence noble et seule. De quoi attiser malveillance et jalousie.
— Attendez ! lui cria-t-il alors d’une voix plus grave et froide.
Aélis s’arrêta et se pétrifia sur place. Son imprudence se payait en cet instant. La main de Finley venait de se poser sur son épaule pour stopper son départ. Ramenée en arrière par la poigne de Finley, elle perdit un peu l’équilibre et sa capuche tomba sur ses épaules, mettant à découvert ses cheveux argentés. Aélis se redressa immédiatement et prit ses distances, gênée. Finley remarqua la couleur de ses cheveux et le malaise d’Aélis qui remit sans attendre sa capuche. Malgré un silence pesant et un repli sur elle, Finley resta poli.
— Je suis Finley Montémory, chevalier d’Althéa et bras droit du Duc Callistar.
Aélis le contempla un peu plus dans le détail. La blondeur de ses cheveux et le bleu de ses yeux, sa minceur apparente, mais ses épaules larges, tout en lui relevait plus d’un prince de ses rêves que d’un chevalier. Mais ce qui l’interpelait, c’était qu’il se présentait comme le bras droit de son futur mari.
— Maintenant que vous savez qui je suis, répondez à ma question. Qui êtes-vous ?
Aélis blêmit.
— Je suis… Aélis… De Middenhall.
Finley posa sa main sur son menton pour réfléchir. Il semblait perturbé.
— Middenhall… Middenhall… Ce nom me dit quelque chose ! Où est-ce que je l’ai entendu ?
— Mon père, Fergus De Middenhall, est conseiller à la cour du Roi.
Au vu de sa tête, cette référence ne semblait pas éclairer sa recherche. Aélis soupira. Elle devait jouer la franchise pour ne pas éveiller des soupçons plus belliqueux.
— Et je suis également la…
Elle grimaça comme si ce qu’elle s’apprêtait à révéler, allait lui écorcher la langue.
—… promise du Duc Callistar.
— C’est ça ! s’écria-t-il alors tout en tapant sa paume de main de son poing avec satisfaction. Je savais bien que ça me parlait !
Ils se sourirent et se jaugèrent alors avant que Finley ne se fige et la dévisage avec panique.
— Vous êtes la promise du Duc… Nom d’un troll à trois nez ! Vous êtes la future Duchesse et moi…
Il posa tout à coup son genou à terre pour s’incliner devant son statut.
— Veuillez me pardonner de mon impolitesse, Ma Duchesse ! J’ai été des plus outrageants envers votre personne. Je mérite la plus ferme des punitions.
Son soudain changement d’attitude déstabilisa Aélis qui passa de potentielle ennemie à maîtresse des lieux en une fraction de seconde. Elle ne s’attendait pas à un tel revirement de comportement de sa part. Elle se sentit, du coup, aussi gênée que lui.
— Je n’irai pas jusqu’à vous punir pour un tel malentendu. Vous ne pouviez pas savoir !
Elle l’attrapa alors par le bras pour qu’il se relève.
— Relevez-vous, s’il vous plaît.
Elle pouvait comprendre son inclination devant son rang, elle en avait même l’habitude, car c’était le protocole, du moins à Piléa, mais cela la gênait ici. Avec lui, elle ne se sentait pas supérieure. D’autant plus qu’elle n’était pas encore officiellement Duchesse tant qu’elle n’était pas mariée au Duc. Le comportement si clément d’Aélis surprit le chevalier. Finley hésita entre obéir à sa demande et insister dans son acte de déférence à sa Duchesse.
— Je vous en prie, lui chuchota-t-elle, je ne souhaite pas attirer les regards…
Il regarda alors autour d’eux et finalement, se redressa complètement.
— Ma Duchesse… est-il prudent de vous balader seule, sans escorte ? chuchota-t-il également en réponse.
— Je ne souhaite pas attiser les interrogations sur moi et encore moins déranger.
Elle hésita à lui en dire plus, mais Finley ne semblait pas être un mauvais garçon.
— On ne peut pas dire que ma présence soit la bienvenue pour tout le monde…
Elle baissa les yeux, un peu gênée de cet aveu. Il se montra alors désolé, mais très vite, il retrouva son ton plus léger.
— Si vous le souhaitez, je peux vous faire visiter le territoire du Duc. Cela ne me dérange pas et je serai aussi plus rassuré de vous savoir avec moi qu’à la merci du danger, sans protection. Le Duc ne me pardonnerait pas cette erreur !
Aélis grimaça à la réaction éventuelle du Duc.
— Je doute que le Duc vous réprimande…
— Pourquoi dites-vous cela ? demanda Finley, intrigué par autant de scepticisme de sa part. Il est très à cheval sur beaucoup de choses et en particulier sur ce qui lui appartient !
— Je suis ici depuis deux jours et je ne l’ai toujours pas rencontré !
Sa révélation assez tranchante sembla surprendre Finley.
— Oh.
Elle le vit alors réfléchir.
— Il a eu pas mal de petites choses à régler, mais il est disponible depuis plusieurs heures maintenant.
Ils se regardèrent et une nouvelle gêne s’installa entre eux. Finley réalisa que ce qu’il venait de penser tout haut s’ajoutait au désagrément de sa duchesse à propos de son maître.
— Je suis sûr qu’il vous cherche ! lui dit-il pour paraître rassurant alors qu’elle devenait encore plus sceptique.
— Moi aussi ! lui dit-elle alors avec un sourire faussement sincère. Il me cherche autant que j’attends qu’il me trouve !
Elle ne devait pas montrer autant de mépris pour l’homme qui allait devenir dans quelques jours son mari, mais elle était à cran. Elle n’avait rien demandé et ne cessait de subir des désillusions depuis cette visite chez le Roi Mildegarde. Parfois, elle rêvait d’être vraiment une sorcière. Aujourd’hui était un de ces jours où elle rêvait que sa chevelure grise était bien le signe évident de sorcellerie dont on avait pu l’accuser depuis son enfance.
Finley l’observa avec une compréhension certaine, mais non dénuée de compassion.
— Je suis désolé que votre accueil ici soit si teinté de mauvaises surprises.
Le désappointement de Finley laissa à Aélis un sentiment de culpabilité. Elle ne voulait pas gêner le chevalier avec ses états d’âme.
— Ne vous en faites pas pour moi ! rectifia-t-elle rapidement. Dans un sens, ça m’arrange de ne pas rencontrer… cet être… sanguinaire et diabolique.
Son dégoût à ces mots valait autant que la surprise de Finley, puis son amusement. Il se mit à rire tout à coup.
— Je vois que la réputation de notre Duc l’a encore précédée ! Vous savez, il y a l’être et le paraître ! Ne vous fiez pas à l’image qu’il renvoie à ceux qu’il ne connaît pas et encore moins à celle que perçoivent ceux qui ne le connaissent pas. Prenez cela comme un conseil pour l’apprivoiser.
— L’apprivoiser ? Comme une bête sauvage ? Oui, eh bien, je n’ai aucune envie de rencontrer la bête.
— Ah ah ! C’est vrai que mon conseil sonne bizarrement ! Mais je vous assure que ses alliés n’ont pas le même traitement que ses ennemis.
Aélis lui sourit poliment, voulant honnêtement le croire, même si le départ entre eux deux semblait raté. Elle caressa la tête de Lutès, comme pour se redonner du courage devant cette adversité qui devait paraître futile comparée à ce que pouvait rencontrer ce chevalier sur les champs de bataille.
— Je vais devoir vous abandonner ! lui dit-elle finalement. Je dois retourner dans mes quartiers… seule… avec ma fenêtre et les oiseaux pour seuls amis !
Finley pouffa devant ses paroles. Aélis rit de bon cœur avec lui. Cela lui faisait du bien de pouvoir se lâcher sur ce qu’elle vivait au quotidien.
— N’hésitez pas à venir caresser Lutès ! Ma licorne sans corne adore les papouilles !
Aélis lui fit un signe de tête reconnaissant.
— Si vous souhaitez vraiment vous faire pardonner de votre précédent comportement discourtois et méfiant envers votre future Duchesse, s’il vous plait…
Elle posa son index devant sa bouche pour lui faire comprendre que leur discussion devait rester entre eux. Il lui offrit un grand sourire charmé.
— À peine rencontrée, et je suis déjà dans les secrets de ma Duchesse. Je suis un homme comblé ! Promis !
Il posa son index devant sa bouche, en réponse, pour confirmer le pacte. Aélis s’inclina légèrement pour se soustraire ensuite à sa vue. S’il répétait leur discussion, elle saurait que Finley ne serait jamais une personne en qui elle pourrait avoir confiance. Elle devait tester les gens pour savoir qui pouvaient réellement devenir ses alliés ou ses ennemis. Elle n’avait pas beaucoup de choix pour l’instant. Finley s’inclina à son tour, tel le chevalier obéissant qu’il se devait d’être.
— Si vous souhaitez une escorte, je serai honoré de vous servir, Ma Dame !
— Merci, Finley.
— Oh ! Et…
Il lui sourit avec gentillesse.
— J’adore vos cheveux !
Finley put lire une certaine surprise sur son visage, puis le poids difficile de cette particularité sur son quotidien par son regard perdu dans le vide malgré un petit sourire.
— Mais… je n’ai rien vu et n’ai rien dit ! s’empressa-t-il d’ajouter pour confirmer leur secret. Je ne vous ai même pas rencontrée !
Aélis se mit à rire et le quitta avec gratitude.
LOMCTR – T1 : Pour le meilleur. Pour le pire. – Chapitre 3
Bonjour à tous !
Voici le chapitre 3. Après avoir fait la connaissance de notre cher Mills, voici maintenant Eliette ! Que pensez-vous de ce début ? Il y a pas mal de personnages qui vont graviter autour de notre Aélis. Tous hauts en couleur !
J’ai rectifié le bug au niveau de l’ajout de commentaires. Vous pouvez dorénavant le faire ^^.
Enjoy !
©Jordane Cassidy – 2022
3
Exister
en territoire inconnu
Éliette apparut devant Aélis et s’inclina rapidement. C’était une jeune femme assez maigre, le teint blême, les cheveux attachés en un chignon caché par un tissu en dentelle.
— Je viens à vous pour vous aider à faire votre toilette si vous le souhaitez. C’est Monsieur Aicard qui m’envoie.
— Est-il prévu que je soupe en présence du Duc ?
— Je ne saurais dire. Il faut voir avec le maître de maison pour ce qui est du planning de Messire Callistar.
Tout cela l’agaçait. Elle avait l’impression d’être promise à un fantôme. Elle fit un signe à la servante pour qu’elle s’exécute, même si elle restait tendue. Éliette l’invita à s’asseoir devant la coiffeuse et défit sa coiffure pour lui brosser les cheveux. Sa surprise s’exprima en un silence et un arrêt brutal de son geste lorsqu’elle lui retira sa capuche et vit ses cheveux gris. Aélis comprit sa stupeur, mais préféra lui faire oublier toutes les possibles théories fumeuses qu’elle pourrait avoir en tête en lui changeant l’ordre de ses réflexions.
— Éliette, n’est-il pas trop dur pour vous de travailler pour le Duc ?
Éliette sembla surprise de sa question si directe. Aélis pouvait reconnaître ne pas avoir pris de pincettes alors qu’elles ne se connaissaient pas, mais la curiosité la dévorait. Elle angoissait à l’idée d’être l’épouse de l’homme le plus effrayant qu’il soit. Elle attendait des réponses pouvant soulager son inquiétude.
— Pourquoi me posez-vous cette question ? lui demanda la servante alors, à la fois gênée et méfiante.
— Je ne sais pas. Je crois que me marier à votre Seigneur me terrorise.
Éliette ne répondit rien et défit sa coiffure pour la brosser.
— Vous ne souhaitez pas me répondre ? lui demanda alors Aélis, plus offensive.
— Il n’y a rien de plus dur que la rue et notre Duc est celui qui m’en a sortie. Vous n’obtiendrez rien de médisant de ma part.
Elle commença à lui tresser les cheveux et Aélis sentit qu’elle n’y allait pas de main morte. Sa poigne lui tirait les cheveux. Elle ignorait si c’était par rigueur et concentration professionnelles ou si sa question dérangeait vraiment, mais son visage à travers le reflet du miroir s’était fermé.
— Je n’attends aucune médisance en particulier. Je vous demande seulement comment se comporte le Duc avec vous. Est-il dur, autoritaire, imbuvable, ou doux, à l’écoute, honnête et droit ? Si vous préférez me décrire l’aspect le plus beau du Duc par peur de représailles de ma part, vous n’avez rien à craindre de moi. Je ne vous jugerai pas. Je me garderai bien de contester quoi que ce soit, ne l’ayant jamais rencontré !
— Souhaitez-vous prendre un bain ? l’interrompit Éliette tout à coup.
Visiblement, sa question dérangeait ; elle changeait de sujet.
— Vous savez, vous pouvez me parler sans crainte, je ne répèterai rien…, insista Aélis.
— Monsieur Aicard vous a-t-il montré la salle au grand bassin ?
Aélis finit par capituler, comprenant que sa discussion ne mènerait nulle part. Éliette n’avait aucune confiance en elle et cela semblait logique qu’elle refuse de se confier à une étrangère sur le point d’épouser son maître et pouvant la trahir auprès du Duc. Elle devait gagner sa confiance avant tout.
— Je l’ai aperçue très rapidement ! Serait-il possible d’y aller demain matin ?
— À votre aise, Dame Aélis De Middenhall.
— Vous pouvez m’appeler Aélis.
— Bien, Dame Aélis.
Aélis passa une heure avec Éliette, mais tout resta très formel et Éliette se montra peu loquace. Elle était une opportuniste à ses yeux et elle se demanda même si son mariage avec leur Duc était un événement que le personnel du château considérait d’un bon œil. Elle ignorait ce qu’ils pouvaient tous penser d’elle, mais il restait évident que les subordonnés du Duc lui semblaient très fidèles. Leur méfiance vis-à-vis de son père et d’elle était notable à bien des égards : regards méfiants ou défiants, chuchotements après leur passage, bruits de bouche indiquant un déplaisir certain, rire sournois dans leur dos. On la jugeait avant même qu’elle ait pu faire ses preuves. Pensaient-ils qu’elle était l’instigatrice de ce mariage ? Qu’elle avait soumis l’idée au Roi ? Croyaient-ils qu’elle soit issue d’une famille peu recommandable selon leurs critères de sélection ? Mais comme pour Éliette, elle ressentait cette animosité à son égard et ça l’inquiétait, notamment pour sa sécurité. Il arrivait vite un empoisonnement ou un accident dès que le personnel voyait d’un mauvais œil une personne de la noblesse. C’était déjà arrivé dans de nombreux fiefs. La relation domestique/maître demeurait une relation de donnant-donnant. Aélis pouvait fragiliser ce lien par sa simple venue et son statut d’épouse.
Le reste de la soirée ne fut pas mieux. Son futur époux se montra également absent durant le souper. Heureusement que Fergus était là, sinon Aélis aurait fini le repas dans sa chambre, par écœurement du peu de considération que lui donnait le Duc. Cela la rendait encore plus nerveuse. Elle avait peur de le rencontrer, mais elle avait aussi hâte de le voir pour vérifier s’il deviendrait son allié ou un ennemi à compter en plus. Son avenir allait dépendre de son attitude à son égard et elle redoutait ce moment. Que ferait-elle s’il la rejetait ? Elle n’était déjà pas loin de penser qu’il l’évitait. S’il l’ignorait, comment allait-elle survivre à cette nouvelle expérience ? Était-ce donc ainsi qu’elle devait envisager sa vie d’épouse ?
Elle passa une nuit agitée. Elle avait mal dormi. D’horribles rêves l’assaillaient, où l’épée du Chevalier de Sang lui transperçait la poitrine alors qu’elle le suppliait de faire au mieux pour devenir la meilleure des épouses. Lorsqu’elle reprit conscience, elle était en sueur et réalisa combien elle se sentait ridicule d’être dans ce postulat de femme soumise.
Le lendemain, Éliette la conduisit à la salle du grand bassin. C’était une pièce magnifique, ornée de mosaïques. Il y avait de quoi se laver avec des vasques adossées à un mur où sont collés des miroirs, des tabourets, des seaux de bois et puis ce bassin d’eau chaude pour se baigner et se reposer. Elle y resta une heure, puis Éliette s’occupa d’elle pour l’habillement, la toilette du visage et des cheveux. Elle sortit de cette salle du grand bassin ressourcée et s’avérait convaincue d’y retourner souvent. Éliette effectua son travail correctement, mais Aélis préféra rester seule plutôt que de sentir cette tension froide en sa présence.
Elle rejoignit son père rapidement dans la salle à manger. Fergus De Middenhall avait commencé son petit-déjeuner.
— Te voilà enfin ! lui dit-il alors, tout en se levant pour la serrer contre lui. As-tu bien dormi ?
— Pas vraiment. Mon angoisse ne cesse d’augmenter et j’en fais des terreurs nocturnes.
Son père lui montra un visage navré.
— Je ne sais pas quoi dire pour soulager ta conscience, ma fille. Je sais que ce n’est pas facile. Moi-même, j’ai du mal à croire que je risque de repartir sans avoir vu l’hôte de ces lieux.
— Maman t’attend. Tu ne peux pas rester ici éternellement. Le voyage en calèche est déjà suffisamment long pour que tu prennes davantage de retard.
— Te laisser seule ici ne m’empêche pas d’angoisser. Je sais que c’est en partie de ma faute si tu te retrouves dans cette situation, mais je ne peux qu’être inquiet pour la suite.
Aélis ravala sa rancœur une nouvelle fois en silence. L’inquiétude de son père passait mal, comparée à la sienne.
— On se revoit bientôt ! trancha-t-elle pour ne pas envenimer les choses.
— Oui, le bal de fiançailles, puis le mariage, je sais. Aélis, tu sais, je suis fier de ta force mentale. Tu as le courage de ta mère. Même si ton départ l’a affectée, c’est une femme qui a toujours été capable de rebondir et je ne doute pas que tu en fasses de même.
Les paroles de son père lui firent mal au cœur. Si elle ne doutait pas du courage de sa mère, la comparaison ne lui semblait pas judicieuse pour dédramatiser cette position d’épouse de convenance. Sa mère lui manquait. Elle avait été beaucoup plus partagée sur son sort. Elle avait exprimé plus de réserve. Malgré tout, son père restait son père. Son cœur se serra à l’idée de ne plus les voir aussi souvent à partir de maintenant. Elle quittait les deux piliers qui l’ont fait grandir. Fergus l’invita à sa table pour leur dernier repas en famille avant qu’il ne la quitte.
Voir son père quitter le château fut un effondrement. Sa colère s’effaça devant l’idée de perdre son allié, son protecteur de toujours, son père. Heureusement, Mills l’avait accompagnée durant cette douloureuse épreuve. Il l’avait supportée, encouragée, rassurée, durant l’heure suivant son départ pour faciliter la transition. La solitude ne lui avait jamais autant pesé que maintenant. Elle se sentait perdue, désœuvrée et ignorée par le principal intéressé : le Duc Callistar. Mills ne suffisait pas à lui faire oublier dans quelle histoire insensée on l’avait plongée. Sa tristesse était sans fin. Elle se vit dans l’obligation de lui fausser compagnie poliment pour partir s’enfermer dans sa chambre. Elle avait besoin d’évacuer le trop-plein d’émotions qui la parcourait depuis cette fameuse rencontre avec le Roi.
Aélis émergea d’une sieste pleine de larmes, deux heures plus tard. Les rayons du soleil à travers la fenêtre l’appelaient. Elle avait besoin de sortir de ce château, de prendre l’air. Elle étouffait. Les cheveux cachés sous sa cape, elle quitta la chambre en trombe, passa devant Éliette en courant sans lui accorder le moindre regard et fonça vers la grande porte. Le soleil l’aveugla, mais elle était à l’air libre. Rien ne lui avait été dit concernant sa possibilité de quitter le château, alors elle la saisissait. Les deux soldats à l’entrée parurent surpris de la voir seule, mais ne dirent rien. Elle en profita donc pour dévaler les escaliers devant le château et prendre de l’air à pleins poumons. Elle repéra rapidement une petite église jouxtant le château d’un côté et ce qui semblait être le bâtiment des chevaliers de l’autre. Une écurie semblait apparaître entre le château et le bâtiment des chevaliers. Elle décida donc d’aller se trouver un ami auprès des animaux.
Elle ne vit personne aux abords de l’écurie. Elle ne savait pas si elle devait s’en sentir soulagée ou peinée. Elle avait besoin de rencontrer des gens, mais elle craignait d’être déçue de leur comportement distant. Les box des chevaux paraissaient assez propres et les bêtes bien entretenues. Quelque part, cela lui fit plaisir de voir que les chevaux des chevaliers étaient considérés à leur juste valeur. Cependant, la charpente semblait vieille, les outils usés par le temps. Elle s’avança vers les chevaux et en caressa un. Sur le box était écrit « Lutès ».
— Salut Lutès ! Ne t’inquiète pas, je ne te ferai pas de mal ! Je viens en paix ! Tu es magnifique, dis-moi.
La robe du cheval était beige. Son poil était court, mais très bien entretenu. C’était un cheval assez imposant. Il avait trois tresses en guise de crinière, attachées toutes trois par des liens en cuir. C’était joli, mais restait assez masculin.
— Je me nomme Aélis ! Enchantée ! lui dit-elle tout en lui donnant de grandes caresses.
— Enchanté ! Moi, c’est Finley !
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LOMCTR – T1 : Pour le meilleur. Pour le pire. – Chapitre 2
Bonjour à tous !
Ce chapitre 1 a titillé votre curiosité ? Ce chapitre 2 va renforcer cela !
Notre pauvre Aélis subit la volonté du Roi Mildegarde et va devoir aller se marier avec le Duc Callistar !
Voici la suite avec ce chapitre 2.
Enjoy !
©Jordane Cassidy – 2022
2
Derrière les portes
d’Althéa
— Nous arrivons ! cria le cochet.
Fergus De Middenhall contempla sa fille avec tristesse. Son sort était scellé. Ils n’avaient pas échangé un mot durant tout le voyage en calèche. Son père comprenait bien qu’elle n’était pas d’humeur à recevoir ses platitudes sur le positivisme existentiel. Elle était une femme, et par ce fait, elle était prisonnière du bon vouloir des hommes. Trois hommes pour être précis : son père, le Roi et son futur époux. Chacun tenait une chaîne de sa vie. Aélis ne décolérait pas de sa situation. Elle avait bien tenté de dire sa désapprobation au Roi Mildegarde, mais son père l’avait fait taire sur-le-champ. Il était clair que les projets du Roi étaient devenus plus importants que le bonheur de sa fille. L’indocile Aélis devait accepter sans broncher. Telle était la dure réalité. Depuis, elle était restée murée dans un silence glacial, au point de s’enfermer elle-même des jours durant dans sa chambre jusqu’à ce voyage.
Son père pouvait lui montrer un air navré, cela ne changeait rien à ce qui l’attendait. Elle était une sacrifiée pour la cause du Roi. Elle se mit à nouveau à pleurer face à cette injustice. Voilà des jours qu’elle pleurait cette angoisse d’être jetée en pâture au plus effrayant des chevaliers de la cour.
— Aélis, je te le redis : « je suis désolé ».
— Tu peux garder tes excuses pour toi ! Je n’en veux pas !
— Tu es ce que j’ai de plus cher dans ma vie, Aélis, mais je connais le Roi depuis vingt ans et je sais que ce n’est pas un homme qui agit à la légère. Il a pesé le pour et le contre et il sait combien tu nous es importante. Sa demande doit avoir du sens. Tu dois aider ce chevalier, comme il te l’a demandé ! C’est une mission avant tout !
— Tu n’as pas cherché à me défendre, à défendre ma volonté, donc garde ton affection et tes balivernes pour un plus crédule ! rétorqua-t-elle, mauvaise.
Fergus baissa les yeux, navré de constater combien sa colère restait vive.
— Je sais que je te déçois, mais je n’ai pas le choix.
— On l’a toujours ! vociféra-t-elle.
— Tu es jeune. Tu as toujours été un peu rêveuse. Du moins idéaliste, malgré les déconvenues vécues depuis ton enfance. Depuis toute petite, tu as toujours agi de façon à faire le bien autour de toi et croire que rien n’était impossible, qu’il y avait du bon en chaque personne. S’il te plait, continue de garder cela en tête. Le Roi ou le Duc, considère-les comme des personnes bonnes, ayant besoin de toi ! Ne vois pas cela comme une punition, mais comme un honneur de les aider et de te considérer comme l’unique personne capable d’y parvenir. Tu n’as jamais vu le Duc Callistar. Qui sait ? Il n’est peut-être pas celui qu’on décrit.
Aélis croisa les bras pour affirmer son mécontentement et son refus d’obtempérer.
— Tsss ! Me voilà tellement altruiste qu’on me sacrifie pour une soi-disant grande cause dont je suis la seule à en avoir les qualifications ! Aider le Chevalier de Sang ? Quelle ineptie ! Je doute pouvoir lui être d’une grande utilité !
Fergus se pencha devant elle et posa sa main sur l’avant-bras de sa fille avec bienveillance.
— Ne sois pas aigrie, s’il te plait. Même si je suis aussi inquiet que toi sur ton avenir, je crois aussi en notre Seigneur, le Dieu de toutes choses. Il te protégera, j’en suis sûr. S’il veille sur notre Roi, alors tout va bien !
Aélis leva les yeux. S’il y avait bien quelqu’un en qui elle n’avait plus envie de croire, c’était bien en Dieu.
La calèche entra dans une grande ville fortifiée. Aélis arrivait dans son nouveau chez-soi : la ville d’Althéa. Althéa était un fief installé en pied de montagne. Il y avait un côté bucolique assez mignon, et pourtant ses fortifications lui donnaient un aspect altier assez déroutant, en correspondance avec son nom. Il y avait quelque chose de l’ordre de l’impressionnant quand on arrivait devant ses remparts. Althéa était une cité belle, prestigieuse tout en restant très mystérieuse, chargée d’une histoire qu’on ne souhaitait pas raconter avec ses parts sombres, inquiétantes… Du moins, c’était l’impression qu’elle donnait à première vue à Aélis.
Reconnaissant le blason de Piléa sur leur pavillon, les gardes leur ouvrirent l’accès à la ville et elle découvrit ses habitants dans leur quotidien animé. Des soldats, des paysans, des enfants, des artisans… Elle aperçut aussi deux chevaliers au loin. Du moins, ils avaient l’air d’être des chevaliers par leur armure plus prestigieuse que celles des soldats. Elle ne ressemblait pas à celle des soldats du Roi Mildegarde. Elle en déduisit que c’était la tenue des chevaliers d’Althéa dont son futur mari était le chef. Sa gorge se serra en pensant à lui. Le duc d’Althéa était connu pour être impressionnant. Il était décrit telle une ombre qui s’abattait sur vous et dont vous ne pouviez réchapper. Il avait un casque avec de longs poils sombres en crinière. Son armure était ténébreuse avec également une longue fourrure noire sur les épaules. Le plus souvent couverte de rouge du sang de ses victimes, son allure lui conférait une comparaison avec le diable lui-même. On disait même qu’il avait les yeux rouges.
Deux iris intenses, vous brûlant toute once d’espoir de survie face à lui. Si on l’appelait le Chevalier de Sang, c’était parce qu’on racontait que, lorsqu’il était à cheval avec sa cape, les ennemis voyaient l’ange funèbre de la mort qui volait. Mais ce qui venait ajouter indubitablement à sa légende un côté mortifère, c’était que les deux couleurs, le noir et le rouge, de son habillement étaient en adéquation avec la forme de sa magie. Le Chevalier de Sang faisait partie des rares chevaliers maîtrisant un pouvoir magique. Le Duc Callistar connaissait parfaitement l’usage du mana et l’utilisait durant ses combats. À ce qu’on disait, le pouvoir du Chevalier de Sang serait également noir et rouge. L’énergie magique qui émanait de lui se matérialisait en un tourbillon épais de ces deux couleurs qu’il utilisait contre ses ennemis. Le rouge du sang appelant le noir des ténèbres. Certains prétendraient même qu’à ce stade, cela ne pouvait qu’être de la magie noire. Toujours était-il que le Roi voyait en lui son plus fidèle soutien.
Ils arrivèrent devant l’entrée du château. La calèche s’arrêta devant un grand escalier. Les habitants passaient devant le château sans que cela semblât poser des problèmes de sécurité. Seuls deux gardes étaient postés devant la grande entrée. Pourtant, le regard d’Aélis s’arrêta sur un homme à petites lunettes, plutôt grand, le cheveu gris attaché en une queue discrète à l’arrière. Il ouvrit la porte de la calèche et lui tendit sa main.
— Bienvenue au château d’Althéa, Demoiselle Aélis De Middenhall. Je suis Mills Aicard, le maître de maison de Messire, le Duc Callistar. Laissez-moi être également votre meilleur soutien dorénavant.
Sa main tendue et son sourire chaleureux lui ôtèrent un peu l’angoisse qui plombait son humeur jusqu’à maintenant. Entendre en première parole qu’elle n’était pas seule dans cet enfer, qu’elle avait une aide, lui fit plaisir. Sans doute ne réalisait-il pas combien son geste et ses mots la touchaient, mais ils avaient pour effet de rendre moins dramatique cet emménagement ici. Elle accepta sa main tendue et descendit de la calèche en lui soufflant un « bonjour et merci ! ». Son père descendit à sa suite.
— Bonjour Sire Fergus De Middenhall. Heureux de constater que vous avez fait bon voyage.
— Bonjour… répondit prudemment Fergus.
— Je vous présente le château d’Althéa !
Il fit un grand geste de bras tout en se tournant vers le château. Il ne semblait pas tout récent, mais plutôt grand. De briques apparentes rougeâtres, sa façade d’accueil est composée de deux tours de chaque côté de l’entrée, d’un haut parapet orné de créneaux et d’une grande porte devant laquelle les deux soldats étaient postés. Pas de tentures. Juste le blason d’Althéa gravé dans la roche.
— Je suis surprise de voir le château si peu protégé des habitants de la ville… déclara alors Aélis, tout en regardant l’ensemble.
— Althéa est une ville paisible. Grâce aux faits d’armes de notre Seigneur et de ses chevaliers à travers les différentes contrées, peu de personnes osent s’en prendre à son fief. La sécurité s’active au niveau des remparts qui entourent la ville. Nous ne souhaitons pas une grande expansion. Aussi les remparts permettent de différencier à la fois ceux qui vivent à l’intérieur et ceux qui arrivent de l’extérieur. Un intrus sera vite repéré par les villageois et la sentinelle. De plus, les villageois n’ont aucun intérêt à attaquer le château. Notre Duc assure leur sécurité, il en va donc de même pour eux vis-à-vis de nous.
Aélis contempla l’activité autour du château. Elle pouvait sentir des regards suspects venant des gens qui passaient. Savaient-ils qu’elle allait devenir leur duchesse ?
— Suivez-moi ! leur dit alors Mills. Je vais vous montrer un peu mieux votre nouvel habitat.
Sa capuche vissée sur la tête, Aélis et son père se regardèrent, peu certains de ce qu’ils allaient découvrir. Les soldats se mirent au garde-à-vous à leur passage de la grande porte. Ils arrivèrent dans le grand hall d’entrée du château et découvrirent une lignée de domestiques de part et d’autre.
— Voici le personnel qui vous servira, Mademoiselle.
Tous se penchèrent devant eux, mais Aélis y prêta peu attention. Comme dans chaque château, le service auprès des nobles restait le même. Et même si elle était leur maîtresse, elle sentait une certaine méfiance de leur part. Une froideur qui contrastait avec Mills. Étaient-ils inquiets du sort qu’elle pourrait leur réserver ? Aélis préféra ne pas y penser et regarder les plafonds du château, et notamment les lustres magnifiques qui illuminaient le couloir qu’ils traversaient. Elle priait pour qu’il la conduise vers quelque chose qui lui ôterait ce poids mélancolique qu’elle avait, depuis qu’elle avait rencontré le Roi.
Ils arrivèrent dans une autre pièce, plus petite, plus intimiste aussi avec des fauteuils.
— Voici la salle d’attente. C’est une pièce intermédiaire entre l’entrée et la grande salle. Nous faisons patienter ici les visiteurs, le temps d’informer Mon Seigneur Callistar de leur venue.
— Allez-vous nous faire attendre ici, jusqu’à ce qu’on le prévienne que je suis arrivée ? demanda alors Aélis.
— Non, Demoiselle De Middenhall. Il n’est pas au château actuellement.
— J’arrive et il n’est pas là pour m’accueillir ? s’exclama Aélis, surprise de son absence. Ça commence bien !
— Aélis ! gronda son père, tout en lui donnant un coup de coude réprobateur auquel elle répondit par une grimace de tracas.
Mills sourit.
— Le Duc Callistar avait un rendez-vous à traiter.
— Plus important que sa future femme ? insista-t-elle, vraiment agacée par cette impolitesse d’emblée.
— La priorité se décide souvent selon la déconvenue à venir si l’objet du rendez-vous n’est pas traité rapidement. Il sait qu’il a toute votre vie à deux pour se faire pardonner. Son rendez-vous, non !
Aélis se raidit face à son sourire amusé. Elle se mit à rougir sans vraiment le vouloir. Toute une vie pour se faire pardonner… Cela lui semblait complètement en inadéquation avec le personnage réputé plutôt sinistre. Pourtant, elle imaginait une entente intime possible et de la douceur d’après ses propos. Son trouble devait se lire sur son visage. Son père lui serra la main et lui sourit.
— Ne te formalise pas pour si peu. Tu auras bien le temps de le rencontrer…
Mills leur fit visiter tout le château. Il était grand, mais il avait quelque chose de rassurant. On se repérait vite dans sa configuration. Aélis ne savait pas si c’était l’effet Mills dans sa présentation conviviale qui lui permettait d’être moins stressée, mais elle finit la visite avec une note d’espoir. Son père avait peut-être raison : elle devait garder courage. Mills finit par les laisser se reposer et se rafraîchir dans leurs chambres respectives. Cela soulagea Aélis. Elle avait un endroit pour être seule et souffler. Elle se sentait exténuée par toutes ces convenances et ce nouvel environnement. Entrer dans un terrain hostile était une chose, trouver un moyen d’y survivre en était une autre. Elle se félicita pour l’instant de cette journée. Mills y était sans doute pour beaucoup. Elle venait à penser qu’elle pourrait lui faire confiance. Du moins, elle l’espérait. Dans la noblesse comme ailleurs, tout le monde pouvait s’avérer être une personne décevante. Son père en était l’exemple. Même si elle comprenait sa position, elle lui en voulait de la trahir de la sorte en l’offrant aux désirs du Roi. Elle entendit alors qu’on frappait à sa porte.
— Oui ? répondit-elle alors d’une voix forte.
— Bonjour, Demoiselle. Je suis Éliette, votre dame de chambre.