LOMCTR T2 : Le Démon et la Protectrice – chapitre 3

 

 

Ne jamais contrarier une femme… 😜

Let’s go pour le chapitre 3 !

©Jordane Cassidy – 2023


 

Chapitre 2 <=


 

 

3

 
Le dernier mot d’une duchesse

 

 

— Duchesse ! Je vous en prie ! Soyez raisonnable ! Vous ne devez pas sous-estimer votre santé !

— Je vous dis que je vais bien ! Je n’ai pas besoin d’un nouveau contrôle !

Aélis tentait de semer le docteur qui s’efforçait de lui courir après pour l’ausculter.

— Mais si je ne vérifie pas votre santé, le Duc va…

Aélis s’arrêta net et se tourna vers lui en entendant la mention du Duc sortir de sa bouche.

— Si le Duc vous fait la moindre réflexion, dites-lui qu’il vienne me voir et je lui dirai la suite !

Le médecin resta silencieux, ne sachant s’il devait vraiment insister auprès de la Duchesse d’Althéa et s’immiscer dans les problèmes relationnels des deux époux.

— Duchesse, si vous mourez, je suis moi-même un homme mort d’avoir été négligeant avec vous…

Le ton confus du docteur fit souffler d’agacement Aélis. C’était toujours la même rengaine.

— Ils tremblent vraiment tous devant lui ! grogna-t-elle pour elle-même.

 

Cela faisait trois jours qu’elle n’avait pas croisé le Duc. Leur accrochage dans la chambre à son réveil et sa sortie pour le moins inattendue les avaient laissés dans un état latent. Tout restait plus ou moins en suspens. Malgré ses excuses, Callum ne s’était pas expliqué davantage sur cette bataille, sur ses ennemis ou sur ce qui était ressorti de tout ça. Comme d’habitude, il continuait de la mettre à l’écart. Une sorte de lassitude la gagnait à devoir se battre pour être considérée comme une personne fiable. Elle estimait ne pas être celle qui devait faire le premier pas sur ce sujet. Il avait été averti et il savait ce qu’elle attendait de lui. Malgré tout, le silence de Callum à ce sujet la blessait. Le mariage ne changeait rien à leur relation. Tout restait fébrile et par-dessus tout, elle ignorait toujours quelle était sa réelle place à prendre à ses côtés, malgré son titre de Duchesse non officialisé lors du mariage par le Roi et celui d’épouse.

Elle savait cependant que faire suivre son état de santé de façon aussi rigoureuse et oppressante ne pouvait pas durer éternellement et qu’elle allait devoir se confronter à Callum Callistar pour obtenir plus d’indépendance à ce sujet, surtout qu’aucun signe inquiétant n’était apparu depuis son réveil.

— Très bien… Je vous propose d’aller le trouver dès maintenant pour que chacun puisse se libérer de cette contrainte.

Le médecin concéda ses propos non sans détourner son regard d’elle avec inquiétude. Ils se rendirent donc au bureau du Duc, sans invitation. Elle frappa à la porte et put entendre un « entrez ! » qui la conforta sur le fait qu’elle allait être enfin libérée de cette charge médicale.

 

Callum écarquilla les yeux en la voyant apparaître. Cléry, Finley et Mills étaient à ses côtés. Il semblait qu’elle venait interrompre une réunion… à laquelle elle n’était pas conviée, mais Mills, oui.

— Désolée si je vous dérange dans vos petits secrets ! déclara-t-elle alors, acerbe. Je souhaiterais parler à mon cher époux ! 

— Ma Duchesse ! s’exclama alors Finley, tout en allant à sa rencontre. 

Il s’inclina devant elle.

— Bien le bonjour, Duchesse ! Ma journée sera belle puisque je vous ai vue ce matin !

L’agacement d’Aélis s’effaça légèrement devant l’exagération respectueuse de Finley. Mills sourit, Cléry se sentit obligé de saluer Aélis également et Callum grimaça devant ce cirque.

— Effectivement, vous semblez bien plus ravi de me voir que mon cher époux !

Finley se tourna vers le Duc qui leva les yeux tout en soufflant.

— Que voulez-vous ? l’interrogea alors le Duc.

Aélis attrapa la manche du docteur et le présenta à lui. 

— Que vous disiez à notre cher docteur que ce n’est plus la peine de venir m’ausculter !

— Même pas en rêve ! répondit du tac au tac Callum.

 

Aélis fronça les sourcils, peu satisfaite de cette réponse.

— Vous pouvez disposer. Nous sommes en réunion ! continua Callum, tout en s’affairant devant son bureau. Nous n’avons pas davantage de temps à perdre.

Aélis croisa les bras, ne voulant pas en démordre et n’aimant pas sa façon expéditive de la congédier sans prendre le temps d’en discuter.

— Tout le monde dehors ! tonna alors la voix grave de la Duchesse.

Les personnes dans la pièce la dévisagèrent, incrédules de l’entendre émettre un tel ordre, allant à l’encontre celui du Duc.

— Oooh moi, je sors ! s’exclama Finley. Il n’y a rien de pire qu’une femme en colère ! Même Dieu ne peut rien contre ça ! Viens, Cléry !

Il passa son bras sous celui du prêtre pour quitter la pièce.

— Personne ne bouge de cette pièce ! gronda le Duc. La Duchesse attendra !

Aélis plissa les yeux en constatant les réticences du Duc, puis sourit.

— Très bien ! Je vais attendre !

Elle prit une chaise et s’assit.

— De quoi parliez-vous ? Il me semble que j’ai le droit de le savoir puisque je suis Duchesse !

— Tu n’as pas été intronisée ! rétorqua le Duc.

Le docteur toussota, gêné de voir la familiarité du couple lavant son linge sale devant tout le monde.

— Je vais vous laisser et attendre dehors.

Il s’extirpa rapidement de ce qu’il estimait être un guet-apens. La porte claqua derrière lui, laissant un léger silence dans la pièce. Finley n’osa plus prononcer un mot. Cléry, flegmatique, soupira de lassitude. Mills, le visage toujours bienveillant, se contenta de sourire devant ce spectacle intéressant.

— Aélis, tu as été blessée. Il te faut quoi de plus pour comprendre ?! s’énerva Callum.

Aélis se leva de sa chaise, belliqueuse.

— Des explications ! Justement ! 

Elle se tourna alors vers les trois serviteurs.

— Me considérez-vous comme une simple noble ou véritablement comme votre Duchesse ?

Cléry et Finley se regardèrent, sentant bien le piège venir selon la réponse. Mills, moins gêné, répondit.

— S’il n’y avait pas eu l’intervention de ces brigands lors de votre mariage, vous seriez effectivement couronnée par le Roi Mildegarde comme Duchesse d’Althéa.

— Voilà ! s’écria Callum, ravi d’entendre cela, tout en montrant de sa main ce qu’il considérait venant de la bouche de Mills comme la vérité absolue.

— Cependant, reprit Mills devant la satisfaction du Duc tout à coup mise à l’épreuve, cette attaque ne change rien au fait que vous le serez tôt ou tard. Donc, à mes yeux, aujourd’hui ou demain, cela n’a pas d’importance, puisque c’est votre destin d’embrasser Althéa…

Mills regarda alors Callum avec un petit sourire.

—… et son Duc !

Les pommettes rougies, Callum se sentit soudain gêné par ses mots.

— Par conséquent, à mes yeux, vous êtes et resterez ma Duchesse !

— Traître ! marmonna entre ses dents le Duc.

Malgré le coup d’œil assassin jeté sur Callum, Aélis remercia Mills de sa loyauté en baissant la tête légèrement. Elle se pencha ensuite vers Cléry et Finley. Le chevalier blond observa la réaction du Duc, qui comprit que c’était plié en remarquant l’hésitation de ses sujets.

— Je me suis engagé à vous protéger, répondit solennellement Cléry, à la demande du Duc Callistar et devant le Seigneur. Je ne peux donc revenir sur ma parole. Vous êtes la Duchesse, peu importe le caractère officiel ou non, de ce statut pour l’instant.

— Merci, Cléry, pour votre loyauté.

— Vous êtes vraiment fatigants tous les deux ! s’agaça alors Finley. Pourquoi dois-je trancher entre l’un et l’autre ? 

Il montra respectivement Aélis et Callum.

— Je ne veux pas être l’arbitre de vos querelles d’amoureux !

— D’amoureux ! répétèrent Aélis et Callum, stupéfaits par ce qualificatif.

— Où as- tu vu de l’amour dans mon refus de l’impliquer ?! s’expliqua le Duc. C’est juste de la logique et de la prévention !

— Jamais je ne tomberai amoureuse de cet homme ! renchérit Aélis tout en désignant le Duc avec un certain dédain sans pour autant savoir comment le désigner réellement.

Cléry pouffa en voyant combien la spontanéité de Finley était toujours aussi percutante.

— Ce n’est pas drôle, Cléry ! s’énerva Callum.

— Ne vous en prenez pas à mon chevalier ! le défendit alors Aélis.

Callum tapa la paume de ses mains sur son bureau avec colère.

— Mon… Mon chevalier ? répéta Callum, le sourcil tressautant à l’écoute de cette évocation pour le moins possessive.

— Parfaitement ! lui tint tête Aélis. Vous venez de l’entendre, non ? Cléry me considère comme sa Duchesse et a accepté de me servir. De ce fait, en retour, je lui offre ma protection, comme tous les soldats qui me protègent. Par conséquent, si vous vous en prenez à lui, vous avez affaire à moi !

Callum ferma les poings contre le bureau. La veine palpitant de colère sur sa tempe, il plissa les yeux et serra les dents jusqu’à se décider à contourner le bureau pour lui faire face sans obstacle entre eux.

— Nous repartons donc sur le même discours qu’avec Sampa… Je vois… Vous comptez me faire définitivement taire pour que je cède à leur Duchesse leur unique allégeance en m’embrassant aussi sur la bouche pour chacun de MES chevaliers et soldats ?

Les yeux comme des billes à cause de sa stupeur devant l’indicible, Aélis se raidit avant de ressentir la honte l’envahir en voyant la tête d’abord surprise, puis régalée de Cléry, Finley et Mills devant cette révélation. Le visage rouge écarlate devant les petits sourires et gloussements à peine offusqués des trois hommes, Aélis se dirigea vers la porte et l’ouvrit.

— Tout le monde dehors ! 

La voix de la Duchesse, grave, presque funèbre, fit frémir Finley qui regarda instinctivement Callum, l’œil vif, sans doute partagé entre la colère et le défi de tenir tête à son épouse. Mills fit le premier pas vers l’extérieur et sourit à Aélis d’un air empressé de les laisser seuls. Cléry suivit, puis Finley. Cette fois-ci, Callum les laissa quitter la pièce sans la contredire. Aélis claqua la porte derrière eux et s’approcha de lui.

— Comment osez-vous déballer notre vie privée en public ?!

Droit dans ses bottes et l’air goguenard, Callum s’appuya contre le bureau d’une main et sourit.

— Vie privée, vous dites ? Un baiser comme marchandage et c’est ça, votre vie privée ? Ai-je raté quelque chose de plus ?

Face à cette pique cinglante, Aélis secoua la tête d’amertume.

— Effectivement, c’est déjà trop pour vous ! J’ai été trop généreuse ! Je ne ferai pas deux fois la même erreur ! C’était le dernier baiser !

— Parfait ! contourna alors Callum. Donc on est d’accord pour dire que Cléry, Fin et Mills restent sous mes ordres ! Affaire réglée.

 

Aélis serra les pans de sa robe de rage. Callum Callistar était un homme de combat redoutable autant par son épée et son pouvoir que par ses mots. Elle le regarda alors retourner s’asseoir derrière son bureau et s’affairer à nouveau au milieu de dossiers, puis la tristesse la gagna.

— Si tous se sont accordés à reconnaître que j’étais leur Duchesse, vous êtes le seul à ne pas le faire. Pourquoi ? Je dois dire que je m’attendais plus à ce que les serviteurs soient hostiles à mon commandement, mais finalement, c’est celui qui devrait m’appuyer le plus qui ne me considère pas en tant que telle… Que vous ai-je fait ?

Callum s’interrompit et regarda un point au loin. Il ferma ensuite les yeux et soupira.

— Aélis, en te tenant éloignée de ce qui se préparait le jour du mariage, tu as toutefois fini blessée. Si je t’autorise à t’impliquer dans nos combats de près comme de loin, la prochaine fois, ce sera peut-être la mort qui t’attendra !

Il tourna alors sa tête vers elle, le regard dur. Elle s’esclaffa, affectée par cette réponse.

— J’ai été enlevée, menacée, j’ai failli mourir étranglée, j’ai même reçu une attaque magique et le tout en me tenant éloignée de vos secrets ! Il faut croire que cette stratégie n’est guère efficace, Callum Callistar. Je côtoie déjà la mort ! Sans parler d’être l’épouse du Chevalier de Sang ! Si ça, ce n’est déjà pas mortel !

Le Duc esquissa un sourire à sa dernière remarque. Il concéda néanmoins son propre échec à la protéger même dans de telles conditions. Il se leva et la contempla un instant.

— C’est vrai, il semblerait que la femme que m’a confiée le Roi soit, que je le veuille ou non, un aimant à problèmes… 

Il observa son visage déçu, puis lorgna sur ses lèvres.

— Et ce, à tous les niveaux…

Il s’éloigna d’elle tout à coup et alla regarder le jardin par la fenêtre, les mains dans le dos. Il mit un temps avant de parler à nouveau.

— Nous allons repartir…, avoua-t-il gravement.

— Quoi ?

— Je prends un bataillon avec moi.

— Vous allez vous battre contre eux à nouveau ? s’inquiéta alors la jeune femme.

— Non, nous n’avons pas de piste pour l’instant. Les prisonniers ne diront rien, nous avons déjà eu l’exemple auparavant. Le Balafré est mort et le peu d’informations que j’ai obtenues lors de mon combat ne m’a pas plus avancé sur la suite. Quant au chevalier ayant combattu le Roi, je n’ai pas eu d’informations dessus non plus. Le Roi est resté bizarrement très évasif concernant son combat. Même si je n’aime pas ces mystères autour d’eux, je ne peux que me contenter d’attendre une nouvelle manifestation de leur part pour agir. 

— Alors où allez-vous ?

— Nous avons reçu une missive demandant un soutien militaire à la frontière nord-Ouest d’Avéna. Je prends donc un bataillon pour venir en renfort aux troupes du Roi contre celles du Royaume d’Ayolis qui semblent en mouvement.

Aélis baissa les yeux, attristée finalement d’entendre cette nouvelle.

— Vous partez… longtemps ?

Callum se tourna vers elle.

— Je l’ignore. J’espère ne pas m’y éterniser. Je n’aime pas cette menace qui plane toujours sur Althéa alors que je serai absent.

Devant la mine inquiète du Duc, Aélis eut un sursaut d’orgueil.

— Althéa ira bien durant votre mission. Je m’en assurerai !

Un peu surpris par son élan soudainement réconfortant et son assurance, Callum chercha à comprendre son revirement de comportement, l’instant d’avant pourtant plus à l’opposition. Il se rapprocha d’elle et se pencha devant son visage pour chercher le piège.

— Dois-je y percevoir tout à coup une pointe de réjouissance à me savoir parti loin de vous ? demanda-t-il alors, les yeux méfiants.

— Puisque vous me partagez vos secrets au compte-gouttes, j’ai décidé que j’en ferai de même avec les miens ! Chacun ses missions ! Vous ne voulez pas que je sois dans vos petits papiers sur les affaires extérieures, alors je vais juste m’occuper des miens à l’intérieur d’Althéa… avec leurs lots de dangers !

Le sourire légèrement faux d’Aélis ne provoqua guère de soulagement pour Callum.

— Vous êtes vraiment prête à tout pour que je m’énerve et que je craque ?

Le sourire d’Aélis s’effaça en une grimace d’incompréhension, avant de baisser les yeux et rougir légèrement.

— Vous refusez de compter sur moi pour gérer Althéa et de m’inclure dans vos réunions. Je n’ai donc d’autres choix que de m’imposer autrement.

Callum se redressa et la toisa quelques secondes. Il posa sa main sur le haut de la tête de la Duchesse et la caressa légèrement pour ne pas défaire sa coiffure.

— Ne mettez pas non plus Althéa sens dessus dessous pendant mon absence ! déclara-t-il alors tout en s’éloignant d’elle.

— Il vous faudra d’abord revenir vivant pour voir cela !

Callum se retourna, surpris. S’il y avait eu des femmes qui avaient attendu son retour avec impatience, c’était sans doute la première fois qu’on l’obligeait à revenir en un seul morceau simplement par défi. Il sourit alors.

— Je n’ai pas dit que vous pouviez me détrôner non plus à l’intérieur des murs ! Vous êtes juste ma suppléante ! Rien de plus !

Aélis se dirigea vers la porte.

— Pas suppléante ! Duchesse ! Et pas « La » Duchesse, mais « Ma » Duchesse ! Souvenez-vous de la leçon au petit garçon !

Elle lui fit un clin d’œil et claqua la porte derrière elle. Callum resta un instant à contempler son départ avec rêverie. 

— MA Duchesse ?

Il s’esclaffa, ne voulant croire à ce désir de possession qu’elle souhaitait lui insuffler pour qu’il revienne vivant.

— Elle prend de plus en plus d’assurance… Dois-je vraiment m’inquiéter de cela ? Elle pourrait vraiment me détrôner !

 

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Chapitre 2 <=


 

LOMCTR T2 : Le Démon et la Protectrice – chapitre 2

 

 

En ces périodes de fêtes, voici votre petit cadeau de Noël, le chapitre 2 de cette saga.

Merci de pousser les portes d’Althéa pour découvrir cette saga et merci d’en redemander !

Vous êtes au top !

©Jordane Cassidy – 2023


 

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2

 

De l’espoir naît des colères

 

 

Les rayons du soleil parvenaient difficilement à traverser la pierre blanche accrochée à son cou, en général translucide à l’abri de la lumière aveuglante du soleil. Plus Callum l’admirait, plus il se sentait apaisé. C’était toujours ainsi. Il sentait la négativité l’envahir et il lui suffisait de serrer cette pierre dans sa main ou de la porter contre son plexus pour que ça le calme. D’ordinaire, son autre pierre, l’obsidienne noire, demeurait une des pierres qui absorbait le mieux les ondes négatives. C’était pour cette raison que son mana avait réagi à elle lors du test du Conseil Magique à l’époque de sa formation pour devenir chevalier et qu’elle était devenue sa pierre primordiale, sa pierre de combat incrustée dans sa dague. Avec du mana, l’obsidienne noire absorbait les ondes négatives et pouvait également en redistribuer en grande quantité à ses ennemis, comme ce fut le cas lors de son dernier affrontement contre Khan, et donc le soulager de ce stock négatif inépuisable en lui qu’il cumulait en plus de celles qu’il absorbait de ses ennemis.

Pourtant, la pierre blanche accrochée à son cou était bien celle qui lui apportait quelque chose en plus. Allongé sur une banquette sous le kiosque, il s’amusait à faire miroiter entre ses doigts face au soleil la gemme accrochée à son fil de cuir. Sa fascination était autant due à son origine inconnue qu’à son aspect mystérieux. Il sourit en repensant à la façon dont il l’avait obtenue. Le destin était quelque chose de bien étrange, tout comme cette pierre. Plus jeune, il avait appris la gemmologie et la lithothérapie. Il connaissait donc la majorité des pierres en ce monde : précieuses, semi-précieuses, d’ornement ou d’origine organique, et avait appris leurs vertus et usages. Il avait tenté d’identifier cette pierre, d’en trouver par ses caractéristiques le nom. En vain. Rien ne correspondait. Il avait pourtant cette possibilité de se rendre au Conseil Magique à Avéna pour pousser cette recherche auprès de chercheurs et autres spécialistes, mais il craignait également que son identification ne casse la magie que cette pierre lui apportait au quotidien. Tout ce qu’il savait était là, sous ses yeux. Une pierre blanche, translucide, mais qui à la lumière du soleil laissait apparaître dans sa composition d’aspect si pure quelque chose de troublant, mystérieux, mais en mouvement, au point d’en troubler sa composition et rendre la pierre plus laiteuse. Était-ce son mana aspiré à l’intérieur ? Ses ondes négatives que la pierre retenait pour qu’il n’en soit pas submergé ? Un pouvoir que la pierre gardait en elle ? Peut-être bien. Il n’en voyait que des effluves légèrement plus foncés tourbillonnant lentement. Était-ce son imagination ? Il n’avait jamais osé demander à quelqu’un si ce qu’il voyait était pareil pour tout le monde. Quelque part, cette part de mystère, il aimait l’entretenir. C’était comme une relation unique, privilégiée, qu’il souhaitait conserver entre le propriétaire originaire de cette pierre et lui. Un lien privé, secret, qu’il préférait garder pour lui.

 

En contemplant cette pierre, il partait dans une douce rêverie, se demandant une nouvelle fois ce qu’était devenue la personne qui lui avait confié cette pierre. S’il avait des espoirs de l’avoir retrouvée, il ne voulait pas trop y croire pour ne pas ressentir trop de déception s’il venait à avoir eu faux.

— Prends au moins ma pierre ! C’est mon cadeau pour m’avoir sauvé la vie ! Elle est unique, à ce qu’il parait !

Il ferma les yeux et les souvenirs revinrent. Cette petite voix, ces grands yeux pleins d’admiration et de gratitude, ce changement soudain de caractère dès que sa situation se fut améliorée grâce à lui, cette innocence teintée de maladresses et d’humour. La pierre avait atterri autour de son cou sans qu’il n’ait eu le temps de réagir. Elle lui avait alors souri et déposé un baiser à la commissure de ses lèvres. C’était la première fois qu’une fille l’embrassait. La première fois qu’une fille s’intéressait à lui. La première fois qu’il avait été gêné au point d’en perdre ses moyens, lui à qui on apprenait quotidiennement à ne jamais baisser sa garde. La première fois qu’une fille le demandait en mariage !

Il ouvrit les yeux et inspira un bon coup. Cette pierre était devenue son talisman. Si le mana de Cléry avait réagi à trois pierres lors de son initiation à la chevalerie, chez lui cela avait été différent. Seule l’obsidienne avait réagi à son mana, mais surtout, il n’avait pas prévu que cette seconde pierre interagisse plus tard avec son mana de façon si inattendue. Il était convaincu que c’était cette pierre qui le sauvait de sa propre négativité, si débordante, si féroce. Sa vie n’avait été qu’un flot continu de tristesse, de combats et de sang pour survivre. Comment ne pas être absorbé par la part sombre de son mana, comme Likone ? Il en avait acquis la certitude que cette pierre le protégeait, tel un bouclier pour ne pas se faire dévorer par ses propres démons, en plus des ondes négatives de ses adversaires. D’ailleurs, il se sentait à nu, inquiet, fragile, s’il ne la portait pas contre son plexus. Elle était devenue un indispensable à son bien-être.

 

Il la serra dans son poing et entendit les pas de quelqu’un marchant sur la pelouse pour venir à lui. Il se redressa. Un domestique s’avançait vers le kiosque.

— Seigneur, la Duchesse s’est réveillée. Monsieur Mills m’a demandé de vous prévenir de toute urgence.

Il s’inclina alors. Sans attendre un complément d’information, Callum se leva d’un bond et fonça vers le château.

 

Il dévala les marches du château, traversa les couloirs au pas de course, rasa les murs pour gagner un maximum de temps et de distance, serra chaque virage le souffle court dans un dérapage contrôlé et arriva enfin à la chambre d’Aélis. Sans même prendre la peine de frapper, il ouvrit grand la porte et la vit, debout, en pleine séance d’habillage. Margaux lui refermait sa robe dans un laçage dorsal. Aélis portait une robe fine en velours noir orné de son lacet argenté et de broderies de même couleur le long du buste. Il la trouva magnifique jusqu’à ce qu’il croise son regard et remarque sa grimace agacée.

— Et sinon, parce que vous êtes le Duc, vous oubliez les simples règles de politesse et omettez de frapper avant d’entrer ?

Callum la fixa un instant avant de sourire. Nul doute qu’elle était en forme si elle le réprimandait de la sorte dès son réveil.

— Désolé ! déclara-t-il en s’approchant d’elle. Après six jours de sieste, je commençais à croire que vous entamiez une hibernation ! Je m’attendais presque à voir un ours dans ce lit ! J’étais donc ravi d’entendre que finalement, vous ayez décidé de vous réveiller pour reprendre votre rôle de duchesse !

Aélis fit un « O. » offusqué de la bouche, auquel Callum rit légèrement.

— Laissez-nous ! ordonna-t-il à Margaux.

— Mais, Duc, je n’ai pas fini son laçage ! rétorqua Margaux, rigoureuse.

— Je m’en occuperai !

Les deux femmes restèrent muettes, mais interloquées par sa réponse. Il poussa pourtant avec panache la servante vers la sortie et referma la porte derrière elle. Il se tourna vers Aélis et combla une nouvelle fois les mètres les séparant.

— Tournez-vous ! lui ordonna-t-il.

Aélis hésita, gênée d’être habillée par un homme, mais obéit. Callum continua le laçage entamé par Margaux.

— Je serre ? demanda-t-il alors plus doucement tandis qu’Aélis pouvait sentir son souffle sur sa nuque et sur ses épaules légèrement dénudées.

— J’aimerais juste avoir le luxe de pouvoir respirer convenablement !

Callum sourit et, tout à coup, passa ses bras autour de sa taille pour la serrer contre lui. Aélis écarquilla les yeux et se figea.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser.

Aélis ferma les paupières un instant avant de soupirer et de les rouvrir.

— Vous ne vouliez pas nous viser. C’était un accident.

— Je suis content de voir que vous allez bien.

Aélis sourit. Il oscillait de temps en temps entre le vouvoiement et le tutoiement quand il se voulait plus proche d’elle.

— Le docteur nous a dit que vous n’auriez pas dû survivre à un tel impact magique. Votre convalescence demeure tout aussi mystérieuse que l’absence de marque sur votre corps.

Aélis se tourna immédiatement pour lui faire face.

— Vous m’avez vue nue ? l’interrogea-t-elle alors, rouge de honte.

La jeune femme toujours enlacée dans ses bras, Callum sourit de son incommodité.

— Non ! lui répondit-il tout en frappant doucement son front du sien. Seulement Margaux et le docteur !

Un certain soulagement apparut sur le visage d’Aélis auquel Callum ne sut trouver une interprétation convenable.

— Nous étions tous inquiets. Les personnes ayant subi une telle attaque magique en dehors des chevaliers magiques ne ressortent jamais indemnes et vous êtes une femme ! Les dommages auraient dû être graves ! Pour plus de sécurité, je vais demander au docteur qu’il vous surveille quotidiennement.

— Je vais bien ! répéta Aélis, un peu agacée qu’on ne la croie pas. Je ne veux pas de surveillance de ma santé !

— Vous avez eu beaucoup de chance ! s’exclama Callum, inquiet.

Aélis s’éloigna de lui et s’approcha du lit.

— Vous croyez ?

Callum observa son dos orné de son laçage avec intérêt. 

— À quel moment voyez-vous de la chance ? lui demanda-t-elle.

Elle attrapa alors le coussin sur lequel elle avait dormi durant six jours.

— Lorsque je découvre que mon mariage est le théâtre d’un affrontement ?

Elle se tourna alors et le frappa avec.

— Lorsque l’homme devenant mon mari semble savoir que cette attaque allait avoir lieu lors de cet événement et qu’il a préféré me le cacher ?

Elle frappa une nouvelle fois Callum de son coussin. Surpris par sa colère soudaine, Callum para le coussin de son bras qu’il utilisa comme bouclier.

— Lorsque je me rends compte que tout le monde savait sauf moi ?

Callum para un nouveau coup de coussin sur la tête, mais Aélis fut plus maline et en donna un second sur sa hanche qu’il ne put esquiver.

— Ou lorsque je découvre Sampa au milieu du champ de bataille alors qu’il est blessé et que je ne l’avais pas autorisé à reprendre ses fonctions ?

 

Les coups tombèrent sur Callum qui se contenta de reculer devant sa fougue.

— Comment avez-vous pu me… me mettre à l’écart de la sorte ?! cria Aélis, folle de rage à présent.

La colère fit place néanmoins rapidement à la déception. Callum put y voir un début de chagrin dans ses yeux meurtris par le sentiment de trahison.

— Je devais m’assurer que l’effet de surprise demeure pour qu’ils ne se doutent pas qu’on les attendait ! se justifia le Duc. Je n’avais pas le choix !

— On a toujours le choix ! répondit Aélis tout en lui donnant un nouveau coup de coussin. Je croyais qu’on était d’accord sur l’arrêt des secrets et des mensonges, sur le partage des informations entre nous pour la bonne marche d’Althéa.

Un nouvel assaut vint frapper le bras de Callum. Il recula encore et alla s’écraser sur la coiffeuse, balayant au passage quelques produits de beauté qui tombèrent au sol.

— Vous ne m’avez pas fait confiance !

La respiration saccadée et les larmes dévalant ses joues, Aélis laissa tomber le coussin au sol.

— Encore une fois, vous m’avez ignorée.

Callum baissa son bras et constata l’infinie tristesse se dégageant des paroles et de l’attitude de son épouse.

— Et vous osez vous excuser ensuite de m’avoir blessée avec votre magie ?

Elle tenta alors d’essuyer ses larmes et s’esclaffa, terrassée par l’amertume.

— Vous m’avez blessée bien avant cet accident magique ! Inutile de vous inquiéter pour moi tout à coup ! C’est trop tard !

Callum se releva et frotta ses vêtements pour les remettre en place. Il soupira, comprenant sa punition soudaine.

— C’est vrai, j’avais le choix. Dire à la femme qui devait m’épouser de force, que son mariage allait devenir en plus une excuse pour un affrontement dont elle était étrangère, que sa vie serait en danger, que son mariage serait gâché et sans doute incomplet, que des gens qu’elle aimait risquaient de mourir… C’est ça que vous vouliez entendre ? Vous, la jeune fille innocente qui rêve du mariage de ses rêves avec un homme sans doute merveilleux en tous points ? Vous oseriez me dire que vous auriez été capable de jouer la comédie en sachant tout cela ?

 

Tous deux se fixèrent, jouant le besoin de camper sur ses positions. Aélis s’éloigna de lui à nouveau et alla vers la fenêtre.

— Et donc vous estimez que le résultat actuel vaut mieux que de me l’avoir dit dès le début ?

Callum se frotta les cheveux et baissa la tête. Effectivement, ce résultat n’était pas des plus agréables non plus.

— J’aurais préféré un mariage plus calme également. Il n’est jamais agréable de jouer avec la vie des gens… J’aurais préféré également voir un début de bonheur sur votre visage plutôt que cette tristesse. Je suis désolé.

Aélis serra ses bras de ses mains, comme pour se réconforter de l’absence de douceur et de délicatesse dans ce résultat. Callum soupira de dépit.

— Sampa va bien. Il se repose… dans une chambre. Je lui ai octroyé ce droit, vu qu’il vous a protégée.

Aélis leva les yeux, atterrée par sa magnanimité soudaine.

— Dois-je en plus vous remercier pour lui de ne pas l’avoir renvoyé au cachot ?

Callum sourit en la voyant ironiser de la sorte. Elle était dure en négociation pour enterrer la hache de guerre.

 

— Il a souhaité se battre quand je lui ai dit qu’Althéa risquait d’être attaquée. C’est un soldat. Il a compris que son devoir l’appelait et que le danger risquait de s’abattre sur sa maîtresse. Je ne l’ai poussé à rien.

— Vous lui avez parlé de votre plan. Vous l’avez donc implicitement poussé à se battre plutôt que de passer pour un faible.

— Il a été sauvé de l’exécution contre la promesse de votre protection coûte que coûte. Sa survie n’a pas d’intérêt si elle ne répond pas aux raisons pour lesquelles elle est effective.

— Sa survie est de mon ressort, pas du vôtre.

— Son être tout entier dépend de son maître à partir du moment où il m’a prêté allégeance.

— Sauf que cette allégeance a été revue et annulée par la mienne.

— On n’annule jamais l’allégeance au seigneur de son fief, sauf si ce dernier le répudie. Autrement dit, je reste son ordonnateur. J’ai juste autorisé qu’il vous prête allégeance et vous serve également. Disons que je vous le prête et que donc, si je demande qu’il se lève pour vous protéger, il se doit d’obéir.

 

Aélis se tourna et revint à ses côtés. Le regard plus décidé que jamais, elle sourit et le jaugea.

— Pouvons-nous dire qu’à partir du moment où l’on se marie, on se prête allégeance l’un à l’autre ? Et que par conséquent, si j’ordonne d’être la seule décisionnaire du sort de Sampa, votre allégeance pour moi prend effet ?

Callum haussa un sourcil et s’esclaffa.

— Tout comme je peux dire que ma femme me doit allégeance quand il s’agit de mon souhait de la protéger coûte que coûte si j’estime qu’Althéa court un danger.

Aélis se mordit la lèvre, agacée de ne pas trouver de réparties à ses propos pouvant le faire taire. La crispation d’Aélis redonna de l’élan à Callum pour retomber sur ses pattes.

— Sauf si cette dernière arrive à me convaincre de céder à ses exigences les plus folles…

Il lorgna sur les lèvres de sa nouvelle épouse quelques secondes durant lesquelles Aélis comprit ses insinuations.

— Mais encore faut-il que ma chère épouse ait de quoi faire fléchir mon petit cœur de Chevalier de Sang ! Pas gagné !

Il lui fit un clin d’œil amusé. Aélis lui attrapa alors la chemise et déposa ses lèvres sur les siennes. Le baiser fut bref, mais suffisamment efficace pour surprendre Callum. Elle se détacha de lui, puis essuya sa bouche d’un revers de bras, avant de revenir poser sa main sur le cœur du Duc battant à tout rompre contre sa poitrine. Aélis se mit alors à sourire tandis qu’il lorgnait sur cette main touchant son cœur.

— Petit cœur de marbre semble bizarrement réagir tout à coup ! lui chuchota-t-elle, d’un minois de vainqueur. J’en déduis que j’ai gagné !

Elle quitta alors la pièce, laissant le Duc sur cette défaite inattendue.

 

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LOMCTR T2 : Le Démon et la Protectrice – chapitre 1

 

 

Voilà une petite surprise en avant-première pour les abonnés : le chapitre 1 du T2 de LOMCTR !

Souvenez-vous, Aélis reçoit de plein fouet l’orbe magique de Callum par accident alors qu’il était en plein combat contre Khan, un chevalier magique à la solde de Gésar, frère du Roi et chef des brigands voleurs de pierres, et qui a attaqué  avec ses hommes Althéa pendant le mariage de Callum et Aélis.

Voici donc la suite avec ce chapitre 1

©Jordane Cassidy – 2023


 

1

 

Les souvenirs nous rappellent ce qui est important.

 

 

 

— Aidez-moi ! S’il vous plait ! À l’aide !

Trois silhouettes de garçons s’approchèrent.

— Ne me faites pas de mal ! cria la voix de l’enfant recroquevillée sur elle-même.

— Tu peux crier à l’aide ! Ici, personne ne viendra à ton secours. Un monstre comme toi n’a pas sa place au royaume d’Avéna. Les monstres, on les supprime !

Les coups de pieds s’abattirent sur le corps frêle de l’enfant qui pleura tout en tentant de se protéger de ses bras.

— Regardez-moi ces cheveux ! Depuis quand les enfants ont-ils des cheveux gris ? Tu es une vieille qui refuse de vieillir ?

Des rires fusèrent.

— C’est une sorcière ! Elle va nous jeter un sort comme elle l’a fait sur son visage et son corps ! Elle peut nous transformer en bébés !

— Non ! Je ne ferai jamais ça ! pleura l’enfant. Je ne sais pas faire ça ! Je ne vous veux pas de mal !

— C’est ça ! railla l’un des garçons. On va te croire, sorcière ! Ta mère est une sorcière, tu ne peux qu’en être une également ! 

— Ma maman n’est pas une sorcière !

— Bien sûr qu’elle l’est ! fit un second garçon. Mon grand-père m’a dit que vous êtes toutes les deux de la lignée de la Protectrice ! Si avec ça, tu n’es pas une sorcière ou un démon, tu es quoi ?!

— Je ne sais pas de quoi vous parlez ! cria l’enfant tout en se cachant les oreilles de ses mains et en fermant les yeux. Je ne connais pas de Protectrice !

— Menteuse ! cria le troisième tout en lui assénant un nouveau coup de pied. Les Protectrices ont été décimées à ce qu’il parait ! Il semblerait qu’il en reste encore au moins deux ! 

— Débarrassons-nous d’abord d’elle ! fit l’un d’eux.

D’un commun accord, les trois silhouettes de garçons la frappèrent alors que la jeune fille, le visage sale, était acculée et à terre contre un rocher. La terreur ancrée en elle, elle hurla. Un des garçons lui attrapa le bras pour la relever.

— Viens-là, sale monstre !

 

Aélis se réveilla dans son lit en sursaut et s’assit. Son cœur palpitait dans sa poitrine. La sueur sur son front lui rappela combien ce souvenir lui était encore douloureux et oppressant. Le traumatisme du harcèlement dont elle fut victime depuis l’enfance ne la quitterait jamais. Elle le savait. Combien de cauchemars avait-elle faits depuis ? Sa seule certitude était que rien ne s’était vraiment arrangé en grandissant. Elle subissait juste moins d’attaques physiques. Les brimades et les chuchotements avaient accompagné bon nombre de ses déplacements. C’était d’ailleurs une des raisons pour laquelle sa mère sortait de leur château avec sa chevelure couverte jusqu’il y a peu encore malgré son âge plus avancé, et qu’elle-même évitait le plus possible les gens, même si son père l’encourageait à l’inverse, estimant que vivre pleinement n’était pas de rester cloîtrée chez soi. Si la chevelure cendrée de sa mère choquait de moins en moins les badauds et les nobles avec l’âge, se fondant davantage dans une normalité liée à la vieillesse, pour Aélis, vieillir rapidement n’était pas pour bientôt. Elle maudissait ses cheveux. Elle avait voulu les teindre, les couper, mais elle avait fini par comprendre que les cacher ne résoudrait pas la méfiance des gens à son égard. Sa mère, Christa de Middenhall, avait toujours eu ce regard triste. Pour sa fille comme pour elle. Son expérience passée lui faisait comprendre la sourde colère de sa fille face à l’injustice dont elle était la victime. Elle la subissait aussi, mais ne trouvait aucun conseil pertinent à lui donner pour faire face. Chacune avait fini par se faire à l’idée que seule une poignée de gens serait de leur côté et que c’était auprès d’eux qu’elles devaient trouver l’envie de vivre. Pour sa mère, ce fut auprès de son père, Fergus, et du Roi Mildegarde. Pour Aélis, auprès de sa famille et quelques rares alliés à la famille. La raison pour laquelle elle se méfiait toujours des gens était qu’elle savait que la mesquinerie était un mal bien plus pernicieux que les sourires qu’on lui avait offerts.

Mais pour « lui », tout avait été différent. Elle n’avait pas eu à douter de lui. Elle n’avait pas eu peur de ses intentions. Elle avait immédiatement senti qu’elle pouvait se reposer sur sa bravoure et sa gentillesse. Lui, son sauveur…

Très vite, son cœur retrouva un rythme acceptable en pensant à la suite. La main sur sa poitrine, Aélis retrouva le sourire. Un souvenir aux allures de cauchemar, mais qui finissait sur une conclusion douce-amère pour elle. 

 

— Hey ! Les gars ! À quoi jouez-vous avec cette gamine ?

Les trois garçons avaient alors interrompu leur règlement de compte sur sa personne et s’étaient tournés vers la voix masculine qui venait de les interpeller. Un autre garçon se tenait là, à quelques mètres. Celui qui allait être son espoir, son sauveur et son garde-fou pour ne pas sombrer dans la folie était apparu. Un peu plus grand qu’eux et plus âgé, il était seul, mais ne semblait pas impressionné par les trois autres.

Aélis ne se souvenait pas bien de son visage. Elle se souvenait seulement de combien il était sûr de lui, imperturbable devant eux. Elle se rappelait son corps fin, mais athlétique. Ses bras découverts plutôt musclés pour son jeune âge. Sa tenue était complètement différente des autres garçons. Pas de chaussures, de pantalon en toile et de chemise, mais un pantalon en cuir marron, un haut en cuir assorti et des bottes. Il ne semblait pas être comme les enfants de Piléa, le fief de sa naissance. Il avait un côté rebelle, bagarreur, mais d’une autre trempe que celles de ses agresseurs. Elle avait envié cette façon de n’avoir peur de rien. Elle avait envié ce charisme qu’il dégageait juste en se tenant droit, debout devant eux, les bras croisés. Il restait indifférent à leur ton menaçant, il semblait même en rire intérieurement. Malgré sa terreur d’avoir été battue, elle avait ressenti un soulagement en le voyant. Elle ressentait ce répit encore aujourd’hui en repensant à lui.

— Va voir ailleurs ! Ça ne te regarde pas ! avait lancé un des trois.

— On est paumés au milieu de nulle part et il faut encore qu’on arrive à nous interrompre ! avait râlé celui qui avait soulevé Aélis.

Il l’avait alors lâchée comme un vieux sac et s’était avancé vers le garçon.

— Va voir ailleurs ! lui avait répété le garçon d’un ton dur, mais dont son opposant n’avait pas paru vouloir en tenir compte.

— Elle pleure. Pourquoi lui faites-vous du mal ?

— Mêle-toi de tes affaires !

Son harceleur avait alors tenté de lui toucher le torse pour le pousser, mais son sauveur avait anticipé son intention. Aélis se souvint encore de ce retournement de situation incroyable. Son bienfaiteur lui avait attrapé le bras de ses deux mains en réponse, avait ensuite fait un demi-tour sur lui-même et avait fini par le basculer par-dessus son épaule. Son assaillant s’était écrasé au sol, sur le dos, sans comprendre comment il avait atterri ainsi.

— Vous m’avez empêché de faire ma sieste ! Cela devient donc mes affaires !

 

C’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un mettre au tapis ceux qui la maltraitaient. Attristée de ne pouvoir aujourd’hui qu’entretenir ce souvenir, Aélis serra le drap du lit avec amertume. 

Le regard dur, son allié s’était ensuite tourné vers les deux autres garçons encore debout.

— Pourquoi vous lui faites du mal ? avait-il redemandé d’un ton plus grave.

— Elle a les cheveux gris ! C’est… c’est une sorcière ! avait rétorqué l’un des deux tout en la montrant du doigt, mais non sans craindre une attaque de sa part selon la réponse.

 Le garçon l’avait alors regardée, elle et ses fameux cheveux gris. Trop effrayée d’être à nouveau le centre d’attention de tous, elle avait baissé les yeux et avait tenté de cacher sa chevelure sous ses bras. Elle n’avait pas osé lui montrer combien elle souffrait. Pourtant, il avait continué à prendre sa défense.

— Si elle était vraiment une sorcière, cela ferait bien longtemps qu’elle vous aurait jeté un sort, vu comme vous la maltraitez et comment elle parait terrifiée.

Les deux avaient regardé alors Aélis, tremblante, recroquevillée sur elle-même, se cachant la tête avec ses mains et ses bras. L’autre garçon avait finalement décidé de se relever et de prendre la poudre d’escampette. Abandonnés par leur ami, les deux autres l’avaient rejoint dans sa fuite quelques secondes après. 

 

Aélis observa la pièce dans laquelle elle se trouvait à présent. Sa chambre. Pas celle du château de ses parents, mais à Althéa. Althéa… Des souvenirs plus présents revinrent à elle. Le mariage avec le Duc Callistar, l’attaque, Sampa, Cléry et Finley, et puis Margaux qui devait être sauvée. Et puis plus rien. Elle soupira. Elle se toucha les côtes, là où elle avait senti l’impact de l’orbe magique contre son corps. Elle souleva ses vêtements et remarqua qu’elle n’avait aucune marque hormis sa blessure au coude. Elle s’en étonna. Elle avait pourtant bien senti l’énergie magique la pénétrer violemment au moment de l’impact. 

— Mon corps absorbe sans doute mieux les coups aujourd’hui, à force d’en prendre…

Elle regarda à nouveau autour d’elle. Tout semblait calme. Elle était dans un lieu plutôt sûr, loin du tumulte auquel elle avait participé avant qu’elle ne tombe à terre. 

— La bataille est donc finie ?

Elle sortit de son lit et se couvrit les épaules d’un châle. Ses vêtements n’étaient plus les mêmes. Combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle avait perdu connaissance ? Elle jeta un œil par la fenêtre. Le jardin était vide. Plus d’habitants d’Althéa rassemblés ici pour les protéger. L’ordre semblait être revenu. Elle décida de quitter sa chambre et de trouver plus d’informations. Elle ouvrit la porte et s’avança lentement dans les couloirs du château avant qu’elle ne tombe sur Margaux.

— Duchesse ! s’écria-t-elle, le visage surpris, mais heureux. Vous êtes réveillée ?!

— Bonjour Margaux !

Margaux se précipita sur elle et posa ses mains sur les épaules d’Aélis, plus inquiète. 

— Comment vous sentez-vous ? Vous ne devez pas vous lever ! Il vaut mieux attendre l’avis du médecin.

— Je vais bien ! 

Margaux fronça les sourcils et lui fit faire un demi-tour.

— Vous avez encaissé une attaque d’une grande violence. Vous ne devez pas sous-estimer votre corps. Retournez à votre chambre. Je vais prévenir tout le monde de votre réveil.

— Mais…

Margaux la poussa vers sa chambre, laissant le protocole de côté au profit de l’inquiétude sur la santé de la Duchesse.

— S’il vous plait, Duchesse ! Je me sens déjà suffisamment responsable de votre état. Ne me laissez pas couver plus d’inquiétude.

Aélis ferma les yeux et soupira. Elle accepta finalement de retrouver sa chambre.

— Je vous dois la vie, Madame. Vous n’auriez pas dû prendre un tel risque pour moi. Votre vie vaut bien plus que la mienne. 

Aélis cessa sa progression vers la chambre et fronça à son tour les sourcils.

— Il n’y a pas de vie plus ou moins importante qu’une autre. Une vie est une vie. Chacun entraînera dans sa mort le chagrin de ses proches. Croyez-vous que le chagrin de vos parents est moindre face à celui des miens ? Il serait le même. J’ai agi sur le moment sans vraiment réfléchir à la suite. Vous êtes importante à mon quotidien. Il était normal pour moi de vous protéger. J’en avais fait en plus la promesse à votre père ! Je ne voulais pas perdre quelqu’un de gentil avec moi. J’ai peut-être agi égoïstement aussi, mais je refuse que le chagrin m’assaille de ne plus vous avoir à mes côtés tout comme je refuse de voir la tristesse de votre père quand il m’aurait croisée en ville si je vous avais laissé mourir. Par ailleurs, je suis vivante, donc tout va bien.

Margaux baissa les yeux, touchée par les mots de sa maîtresse.

— Merci, Madame.

Elle s’inclina alors, puis releva la tête avec un grand sourire.

— Moi aussi, je suis heureuse d’être à vos côtés.

Aélis esquissa alors un sourire ravi.

— Mais je pense que celui qui va vraiment être heureux de vous voir aujourd’hui à ses côtés sera le Duc !

Aélis se mit à rougir à la mention du Duc. Elle avait presque oublié qu’elle était à présent mariée et qu’elle avait un époux susceptible de s’inquiéter. Puis elle se rappela comment son mariage avait tourné au vinaigre. La colère la gagna.

— Il ne le sera plus quand je vais exiger de lui quelques explications concernant mon mariage raté !

 

 


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