Voilà une petite surprise en avant-première pour les abonnés : le chapitre 1 du T2 de LOMCTR !
Souvenez-vous, Aélis reçoit de plein fouet l’orbe magique de Callum par accident alors qu’il était en plein combat contre Khan, un chevalier magique à la solde de Gésar, frère du Roi et chef des brigands voleurs de pierres, et qui a attaqué avec ses hommes Althéa pendant le mariage de Callum et Aélis.
Voici donc la suite avec ce chapitre 1
©Jordane Cassidy – 2023
1
Les souvenirs nous rappellent ce qui est important.
— Aidez-moi ! S’il vous plait ! À l’aide !
Trois silhouettes de garçons s’approchèrent.
— Ne me faites pas de mal ! cria la voix de l’enfant recroquevillée sur elle-même.
— Tu peux crier à l’aide ! Ici, personne ne viendra à ton secours. Un monstre comme toi n’a pas sa place au royaume d’Avéna. Les monstres, on les supprime !
Les coups de pieds s’abattirent sur le corps frêle de l’enfant qui pleura tout en tentant de se protéger de ses bras.
— Regardez-moi ces cheveux ! Depuis quand les enfants ont-ils des cheveux gris ? Tu es une vieille qui refuse de vieillir ?
Des rires fusèrent.
— C’est une sorcière ! Elle va nous jeter un sort comme elle l’a fait sur son visage et son corps ! Elle peut nous transformer en bébés !
— Non ! Je ne ferai jamais ça ! pleura l’enfant. Je ne sais pas faire ça ! Je ne vous veux pas de mal !
— C’est ça ! railla l’un des garçons. On va te croire, sorcière ! Ta mère est une sorcière, tu ne peux qu’en être une également !
— Ma maman n’est pas une sorcière !
— Bien sûr qu’elle l’est ! fit un second garçon. Mon grand-père m’a dit que vous êtes toutes les deux de la lignée de la Protectrice ! Si avec ça, tu n’es pas une sorcière ou un démon, tu es quoi ?!
— Je ne sais pas de quoi vous parlez ! cria l’enfant tout en se cachant les oreilles de ses mains et en fermant les yeux. Je ne connais pas de Protectrice !
— Menteuse ! cria le troisième tout en lui assénant un nouveau coup de pied. Les Protectrices ont été décimées à ce qu’il parait ! Il semblerait qu’il en reste encore au moins deux !
— Débarrassons-nous d’abord d’elle ! fit l’un d’eux.
D’un commun accord, les trois silhouettes de garçons la frappèrent alors que la jeune fille, le visage sale, était acculée et à terre contre un rocher. La terreur ancrée en elle, elle hurla. Un des garçons lui attrapa le bras pour la relever.
— Viens-là, sale monstre !
Aélis se réveilla dans son lit en sursaut et s’assit. Son cœur palpitait dans sa poitrine. La sueur sur son front lui rappela combien ce souvenir lui était encore douloureux et oppressant. Le traumatisme du harcèlement dont elle fut victime depuis l’enfance ne la quitterait jamais. Elle le savait. Combien de cauchemars avait-elle faits depuis ? Sa seule certitude était que rien ne s’était vraiment arrangé en grandissant. Elle subissait juste moins d’attaques physiques. Les brimades et les chuchotements avaient accompagné bon nombre de ses déplacements. C’était d’ailleurs une des raisons pour laquelle sa mère sortait de leur château avec sa chevelure couverte jusqu’il y a peu encore malgré son âge plus avancé, et qu’elle-même évitait le plus possible les gens, même si son père l’encourageait à l’inverse, estimant que vivre pleinement n’était pas de rester cloîtrée chez soi. Si la chevelure cendrée de sa mère choquait de moins en moins les badauds et les nobles avec l’âge, se fondant davantage dans une normalité liée à la vieillesse, pour Aélis, vieillir rapidement n’était pas pour bientôt. Elle maudissait ses cheveux. Elle avait voulu les teindre, les couper, mais elle avait fini par comprendre que les cacher ne résoudrait pas la méfiance des gens à son égard. Sa mère, Christa de Middenhall, avait toujours eu ce regard triste. Pour sa fille comme pour elle. Son expérience passée lui faisait comprendre la sourde colère de sa fille face à l’injustice dont elle était la victime. Elle la subissait aussi, mais ne trouvait aucun conseil pertinent à lui donner pour faire face. Chacune avait fini par se faire à l’idée que seule une poignée de gens serait de leur côté et que c’était auprès d’eux qu’elles devaient trouver l’envie de vivre. Pour sa mère, ce fut auprès de son père, Fergus, et du Roi Mildegarde. Pour Aélis, auprès de sa famille et quelques rares alliés à la famille. La raison pour laquelle elle se méfiait toujours des gens était qu’elle savait que la mesquinerie était un mal bien plus pernicieux que les sourires qu’on lui avait offerts.
Mais pour « lui », tout avait été différent. Elle n’avait pas eu à douter de lui. Elle n’avait pas eu peur de ses intentions. Elle avait immédiatement senti qu’elle pouvait se reposer sur sa bravoure et sa gentillesse. Lui, son sauveur…
Très vite, son cœur retrouva un rythme acceptable en pensant à la suite. La main sur sa poitrine, Aélis retrouva le sourire. Un souvenir aux allures de cauchemar, mais qui finissait sur une conclusion douce-amère pour elle.
— Hey ! Les gars ! À quoi jouez-vous avec cette gamine ?
Les trois garçons avaient alors interrompu leur règlement de compte sur sa personne et s’étaient tournés vers la voix masculine qui venait de les interpeller. Un autre garçon se tenait là, à quelques mètres. Celui qui allait être son espoir, son sauveur et son garde-fou pour ne pas sombrer dans la folie était apparu. Un peu plus grand qu’eux et plus âgé, il était seul, mais ne semblait pas impressionné par les trois autres.
Aélis ne se souvenait pas bien de son visage. Elle se souvenait seulement de combien il était sûr de lui, imperturbable devant eux. Elle se rappelait son corps fin, mais athlétique. Ses bras découverts plutôt musclés pour son jeune âge. Sa tenue était complètement différente des autres garçons. Pas de chaussures, de pantalon en toile et de chemise, mais un pantalon en cuir marron, un haut en cuir assorti et des bottes. Il ne semblait pas être comme les enfants de Piléa, le fief de sa naissance. Il avait un côté rebelle, bagarreur, mais d’une autre trempe que celles de ses agresseurs. Elle avait envié cette façon de n’avoir peur de rien. Elle avait envié ce charisme qu’il dégageait juste en se tenant droit, debout devant eux, les bras croisés. Il restait indifférent à leur ton menaçant, il semblait même en rire intérieurement. Malgré sa terreur d’avoir été battue, elle avait ressenti un soulagement en le voyant. Elle ressentait ce répit encore aujourd’hui en repensant à lui.
— Va voir ailleurs ! Ça ne te regarde pas ! avait lancé un des trois.
— On est paumés au milieu de nulle part et il faut encore qu’on arrive à nous interrompre ! avait râlé celui qui avait soulevé Aélis.
Il l’avait alors lâchée comme un vieux sac et s’était avancé vers le garçon.
— Va voir ailleurs ! lui avait répété le garçon d’un ton dur, mais dont son opposant n’avait pas paru vouloir en tenir compte.
— Elle pleure. Pourquoi lui faites-vous du mal ?
— Mêle-toi de tes affaires !
Son harceleur avait alors tenté de lui toucher le torse pour le pousser, mais son sauveur avait anticipé son intention. Aélis se souvint encore de ce retournement de situation incroyable. Son bienfaiteur lui avait attrapé le bras de ses deux mains en réponse, avait ensuite fait un demi-tour sur lui-même et avait fini par le basculer par-dessus son épaule. Son assaillant s’était écrasé au sol, sur le dos, sans comprendre comment il avait atterri ainsi.
— Vous m’avez empêché de faire ma sieste ! Cela devient donc mes affaires !
C’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un mettre au tapis ceux qui la maltraitaient. Attristée de ne pouvoir aujourd’hui qu’entretenir ce souvenir, Aélis serra le drap du lit avec amertume.
Le regard dur, son allié s’était ensuite tourné vers les deux autres garçons encore debout.
— Pourquoi vous lui faites du mal ? avait-il redemandé d’un ton plus grave.
— Elle a les cheveux gris ! C’est… c’est une sorcière ! avait rétorqué l’un des deux tout en la montrant du doigt, mais non sans craindre une attaque de sa part selon la réponse.
Le garçon l’avait alors regardée, elle et ses fameux cheveux gris. Trop effrayée d’être à nouveau le centre d’attention de tous, elle avait baissé les yeux et avait tenté de cacher sa chevelure sous ses bras. Elle n’avait pas osé lui montrer combien elle souffrait. Pourtant, il avait continué à prendre sa défense.
— Si elle était vraiment une sorcière, cela ferait bien longtemps qu’elle vous aurait jeté un sort, vu comme vous la maltraitez et comment elle parait terrifiée.
Les deux avaient regardé alors Aélis, tremblante, recroquevillée sur elle-même, se cachant la tête avec ses mains et ses bras. L’autre garçon avait finalement décidé de se relever et de prendre la poudre d’escampette. Abandonnés par leur ami, les deux autres l’avaient rejoint dans sa fuite quelques secondes après.
Aélis observa la pièce dans laquelle elle se trouvait à présent. Sa chambre. Pas celle du château de ses parents, mais à Althéa. Althéa… Des souvenirs plus présents revinrent à elle. Le mariage avec le Duc Callistar, l’attaque, Sampa, Cléry et Finley, et puis Margaux qui devait être sauvée. Et puis plus rien. Elle soupira. Elle se toucha les côtes, là où elle avait senti l’impact de l’orbe magique contre son corps. Elle souleva ses vêtements et remarqua qu’elle n’avait aucune marque hormis sa blessure au coude. Elle s’en étonna. Elle avait pourtant bien senti l’énergie magique la pénétrer violemment au moment de l’impact.
— Mon corps absorbe sans doute mieux les coups aujourd’hui, à force d’en prendre…
Elle regarda à nouveau autour d’elle. Tout semblait calme. Elle était dans un lieu plutôt sûr, loin du tumulte auquel elle avait participé avant qu’elle ne tombe à terre.
— La bataille est donc finie ?
Elle sortit de son lit et se couvrit les épaules d’un châle. Ses vêtements n’étaient plus les mêmes. Combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle avait perdu connaissance ? Elle jeta un œil par la fenêtre. Le jardin était vide. Plus d’habitants d’Althéa rassemblés ici pour les protéger. L’ordre semblait être revenu. Elle décida de quitter sa chambre et de trouver plus d’informations. Elle ouvrit la porte et s’avança lentement dans les couloirs du château avant qu’elle ne tombe sur Margaux.
— Duchesse ! s’écria-t-elle, le visage surpris, mais heureux. Vous êtes réveillée ?!
— Bonjour Margaux !
Margaux se précipita sur elle et posa ses mains sur les épaules d’Aélis, plus inquiète.
— Comment vous sentez-vous ? Vous ne devez pas vous lever ! Il vaut mieux attendre l’avis du médecin.
— Je vais bien !
Margaux fronça les sourcils et lui fit faire un demi-tour.
— Vous avez encaissé une attaque d’une grande violence. Vous ne devez pas sous-estimer votre corps. Retournez à votre chambre. Je vais prévenir tout le monde de votre réveil.
— Mais…
Margaux la poussa vers sa chambre, laissant le protocole de côté au profit de l’inquiétude sur la santé de la Duchesse.
— S’il vous plait, Duchesse ! Je me sens déjà suffisamment responsable de votre état. Ne me laissez pas couver plus d’inquiétude.
Aélis ferma les yeux et soupira. Elle accepta finalement de retrouver sa chambre.
— Je vous dois la vie, Madame. Vous n’auriez pas dû prendre un tel risque pour moi. Votre vie vaut bien plus que la mienne.
Aélis cessa sa progression vers la chambre et fronça à son tour les sourcils.
— Il n’y a pas de vie plus ou moins importante qu’une autre. Une vie est une vie. Chacun entraînera dans sa mort le chagrin de ses proches. Croyez-vous que le chagrin de vos parents est moindre face à celui des miens ? Il serait le même. J’ai agi sur le moment sans vraiment réfléchir à la suite. Vous êtes importante à mon quotidien. Il était normal pour moi de vous protéger. J’en avais fait en plus la promesse à votre père ! Je ne voulais pas perdre quelqu’un de gentil avec moi. J’ai peut-être agi égoïstement aussi, mais je refuse que le chagrin m’assaille de ne plus vous avoir à mes côtés tout comme je refuse de voir la tristesse de votre père quand il m’aurait croisée en ville si je vous avais laissé mourir. Par ailleurs, je suis vivante, donc tout va bien.
Margaux baissa les yeux, touchée par les mots de sa maîtresse.
— Merci, Madame.
Elle s’inclina alors, puis releva la tête avec un grand sourire.
— Moi aussi, je suis heureuse d’être à vos côtés.
Aélis esquissa alors un sourire ravi.
— Mais je pense que celui qui va vraiment être heureux de vous voir aujourd’hui à ses côtés sera le Duc !
Aélis se mit à rougir à la mention du Duc. Elle avait presque oublié qu’elle était à présent mariée et qu’elle avait un époux susceptible de s’inquiéter. Puis elle se rappela comment son mariage avait tourné au vinaigre. La colère la gagna.
— Il ne le sera plus quand je vais exiger de lui quelques explications concernant mon mariage raté !