À votre service : chapitre 10


Bonjour à tous !!

Nous voilà avec le dixième chapitre de À votre service ! Mine de rien, ça passe et vous avez déjà donc eu la possibilité de découvrir une centaine de pages ! Et ouais ! Ce n'est pas rien.

©Jordane Cassidy - Nov. 2017


10

“Le principal ingrédient pour toute une bonne cuisine familiale est l’amour ; l’amour envers ceux pour qui vous cuisinez.”

De Sophia Loren

  


 

Valentin regarda son assiette avec incertitude ce midi. Il avait beau réfléchir, tout semblait pourtant trop parfait pour que ce soit normal, trop enjolivé. Il avait beau refaire le film de leur entente depuis la veille, il doutait d’être pour autant en odeur de sainteté pour mériter un tel accueil, un tel repas.

Leur soirée avait été finalement agréable, malgré l’accrochage à son arrivée. Il avait fini son repas en silence tout en zieutant de temps à autre vers la télévision et le canapé. Puis, il avait rangé la vaisselle sans attendre un geste de la part de Camille et était venu s’installer sur le canapé à côté d’elle.

— Alors ? Vous n’êtes pas mort, empoisonné ? lui avait-elle demandé entre deux répliques de film.

— C’est bien pour ça que je viens à côté de vous ! Si mon envie de vomir arrive, je sais vers qui me retourner !

Il lui avait alors offert un sourire faux auquel elle avait répondu par un sourire amusé.

— Et vous y mettrez tout votre cœur, je parie ! lui répondit-elle, heureuse de voir que leur tension se transformait en jeu sarcastique.

— Naaaan ! Vous plaisantez ! Je suis un homme trop froid, triste, monotone, rabat-joie, pour faire ça avec le cœur !

Camille avait pouffé à ce moment-là. Il avait trouvé cela mignon, alors qu’il aurait dû être en colère et la virer sans plus de souplesse. Encore maintenant, il se trouvait très conciliant, pour une raison qui ne le lâchait pas : Camille était spéciale. Un être capable de jouer avec le chaud et le froid sans réellement réaliser l’ampleur de ses mots, mais qui pourtant arrivait à faire mouche, à laisser votre vexation au placard.

— Bon ! J’avoue ! Je suis allée peut-être trop loin ! Pardon, je n’aurais pas dû être si méchante, surtout que vous êtes mon patron. Mais… quand quelque chose m’énerve, faut que ça sorte ! Vous m’avez énervé ! Vous êtes trop sur la défensive et le contrôle. Vous devez vous donner des pauses. Pour aider à la conciliation, je vais retirer mes mots et juste dire que vous êtes soupe au lait pour l’instant ! Ça vous va ?

Valentin la fixa avec sidération. Elle lui souriait comme si tout cela l’amusait plus qu’autre chose maintenant, comme si leur dispute n’avait plus de quoi alimenter les tempêtes, qu’elle était passée à autre chose.

— Soupe au lait ? De mieux en mieux ? Est-ce que vous voulez mourir de mes mains ? Vous voulez vraiment travailler pour moi… Non parce que là, j’ai un doute. On dirait que vous faites tout pour que je vous vire !

— Et vous, vous voulez vraiment de moi ? lui répondit-elle au tac au tac.

Valentin l’observa de façon circonspecte. Jusqu’à quel point était-il capable de vouloir d’elle dans sa vie ? Une grande question sans réponse, bien que sa conscience lui soufflait d’insister encore et encore. Camille se mit à réfléchir.

— Si vous me virez, vous ne saurez jamais le secret de mon Ice Mint, vous ne pourrez découvrir non plus toutes mes recettes de pâtes ! Vous ne m’aurez plus, moi, pour vous faire oublier vos tracas ! Vous souhaiteriez vraiment faire sans moi par la suite ? Je suis dorénavant votre conscience, comme Jiminy Cricket !

Elle éclata alors de rire. Un rire sincère, entier, communicatif. Valentin s’esclaffa, toujours plus impressionné par le cas Camille Bonin.

Et en plus, elle joue parfaitement la dérision !

Il voulut en rire, mais seuls des spasmes ahuris sortaient de sa gorge.

Ma conscience…

— Vous ne vous surestimeriez pas un peu trop ? lui lança-t-il, perplexe.

— Vous croyez ? Pourtant, je prends mon travail un peu aussi dans ce sens ! Je suis votre gardien de nuit, non ? Pas que votre cuisinière. Je vous seconde en étant votre bras droit à la maison. C’est bien en cela que j’ai eu cette embauche ?

Valentin l’avait observé avec intérêt à ce moment-là.

— Et en cela, vous pouvez vous permettre de tout me dire ? Même le plus désagréable ? répondit-il, à présent lui aussi amusé.

— Pour un bon fonctionnement entre nous, il faut savoir tout se dire, je pense…

 

L’ambiance, l’instant plus tôt si frivole, changea complètement lorsqu’elle posa sa main sur sa tête. Elle lui caressa sa tignasse avec un brin de malice, mais aussi de réconfort.

— Tout est question de confiance. Faites-moi confiance, Monsieur Duval et ne déchargez pas votre mauvaise humeur sur moi quand vous rentrez ! Parlez-moi plutôt !

En aucun cas, il n’aurait pu imaginer qu’elle en viendrait à faire un tel geste. Si familier, si franc envers son employeur, si doux, si apaisant. Elle lui avait frotté la pointe des cheveux, puis massé le cuir chevelu encore et encore. Son regard était doux. Ce n’était pas un geste de séduction, mais bien un geste voulant inspirer confiance et attention. Un geste accompagnant ses mots qu’elle voulait impactant.

— C’est comme ça que vous inspirez confiance ? lui demanda-t-il dans un souffle troublé. En me caressant les cheveux ?

Camille fit une grimace.

— Je vous masse ! Vous êtes vraiment tendu ! Regardez-vous ! Vous êtes sur la défensive ! Encore !

       Elle laissa glisser sa main le long de sa tempe, puis sur sa joue. Elle était chaude, douce, câline. Il avait tout à coup envie de fermer les yeux. Elle retira alors sa main et se leva.

— Je pense que vous êtes vraiment fatigué ! Menacer de mort son employée, c’est vraiment grave quand même !

Valentin haussa un sourcil, en voyant son petit sourire en coin. Elle était toujours dans cette note d’humour, mais Valentin percevait maintenant les choses avec plus de tendresse que d’agressivité. Elle était allée ensuite éteindre la télévision, puis lui avait pris la main en l’invitant à se lever du canapé également. En cet instant, il lui avait obéi aveuglément. Il aurait pu la suivre n’importe où, sans broncher. Ses doigts tenaient les siens et il était simplement heureux d’être si bien considéré. On prenait soin de lui réellement. Pour la première fois, il avait cette impression d’être redevenu l’enfant qu’il était, cherchant désespérément ce geste et l’obtenir enfin.

— Allez ! Au lit !

— Je… On peut encore rester un peu ! avait-il dit alors, un peu perdu par cette atmosphère rassurante et réconfortante.

— Non ! Au pieu ! Il faut vous reposer. Vous êtes mort. Je finirai mon film dans mon lit !

Une sourde déception l’avait traversé. Il savait qu’elle ne s’était pas débarrassée de lui, mais il avait pourtant eu cette amertume à voir la fin de ce moment ensemble arriver. Elle avait été logique dans son comportement : toujours penser au bien-être des autres. Pourtant, son bien-être à lui, en cet instant, avait été de lui tenir la main et d’être avec elle. Aussi bizarre que cela parût, il aimait la chaleur et le dévouement de Camille. Il n’avait plus eu envie de se coucher et dormir. Il pensait plutôt à se blottir contre elle et fermer les yeux.

Elle l’avait conduit en silence devant sa chambre, comme on accompagne un enfant au lit et l’avait planté là, avec un « bonne nuit » en conclusion qui avait sonné finalement comme une punition. Il avait pris sa douche puis s’était couché, mais n’avait cessé de ressasser son geste et regarder sa main. Cette sensation d’inachevé ne le lâchait pas depuis. Qu’aurait-il pu vouloir de plus ? C’était son employée de maison, rien d’autre…

 

Le petit déjeuner du matin avait été calme, très calme. Il avait peu parlé et elle non plus. Il s’était senti incomplet, comme si une partie de lui était ailleurs. Elle lui avait souri comme d’habitude, s’était appliquée à préparer son repas comme chaque matin, mais lui était resté gêné, maladroit, étourdi. Quand il l’eut quitté pour aller travailler, il avait pu sentir un agacement naître en lui et ne pas le lâcher. Le genre d’agacement dont on a du mal à définir la raison, mais qui demeurait là, bien présent. Il avait eu beau y réfléchir, il ne trouvait aucune réponse à ses questions : pourquoi n’était-il pas comme d’habitude ? Pourquoi se sentait-il gêné devant elle ?

 

Son retour, le midi, se fit avec une certaine tension de sa part. Elle était toujours là, disponible pour lui et fière de son repas cuisiné. Elle ne lui avait pas sauté dessus et l’avait laissé arriver tranquillement. Il avait constaté qu’elle avait fait son ménage. Il avait même vu quelque chose qui détonnait avec son environnement habituel.

— Une plante ? Dans mon salon ? avait-il dit alors.

— Oui, ça donne de la lumière, de la vie et de la gaieté.

— Si j’avais voulu d’une plante ici, je l’aurais mise !

— Vous n’en avez pas eu l’idée ! Soyez content ! Je vous l’offre ! Ça casse l’austérité du salon.

Elle lui avait offert encore l’un de ses grands sourires aussi innocents que plein de provocation, puis s‘était attelée à la cuisine.

 

En repassant au crible tout ce qui s’était passé depuis la veille, non… il avait beau réfléchir, il ne savait plus quoi penser de leur relation en voyant son assiette ce midi, ce qui méritait autant d’affection de la part de son employée de maison.

— C’est la première fois que je vois une omelette comme ça… déclara-t-il alors, incertain.

— Omelette spéciale maison ! fit-elle fièrement.

— Je n’en doute pas ! Ça fait peur quand même, non ?

— Mais non ! Je me suis inspirée de la pizza calzone.

— Je vois ça…

Et c’est censé me rassurer ?

L’omelette était retournée à moitié sur elle-même. Elle semblait à la fois sophistiquée et inquiétante.

— Je peux avoir peur de ce qu’il y a dedans ?

— Du tout ! Il n’y a que du bon ! Des légumes !

— Vraiment ?

Il toucha de la pointe de la fourchette l’ensemble avec cette attitude suspicieuse, attendant que l’omelette se dégonfle une fois la pointe enfoncée, mais rien. L’omelette resta en place.

— Le ketchup dessus était-il vraiment nécessaire ? demanda-t-il alors d’un ton hésitant tout en jetant un œil vers elle pour sonder sa réaction en mentionnant l’ingrédient-surprise. Si je ne doute plus que vous cuisiniez avec le cœur, là… n’est-ce pas un peu trop ?

— Vous n’aimez pas ? s’inquiéta alors Camille, pourtant persuadée d’avoir fait quelque chose de bien. Avouez quand même que ça donne du baume au cœur, non ? C’est comme la cerise sur le gâteau ! C’est la quête du sourire quand vous voyez votre plat !

Valentin leva un sourcil, peu convaincu quant à l’interprétation de cette cerise.

— Vous avez écrit “LOVE” avec du ketchup sur l’omelette ! Avant de sourire à quoi que ce soit, pour moi, c’est louche !

Camille tomba sa bonne humeur en même temps que son intention d’être crédible.

— Vous auriez préféré un “FUCK” ? C’est en quatre lettres aussi !

Valentin plissa les yeux.

— Vous avez écrit “LOVE” à votre patron ! Quelle employée se permettrait d’écrire “LOVE” à son patron ?

Camille visa à nouveau son omelette, puis son patron et écarquilla les yeux.

— Ne me dites pas que vous pensez à une déclaration d’amour ! Je… Non ! Ce n’est pas dans cette intention ! Je ne suis pas folle !

— Parce que ça vous semble impossible qu’on m’aime ? s’agaça Valentin, plus qu’il ne l’aurait voulu.

— Mais non ! Vous êtes quelqu’un de…

— Rabat-joie ?

Camille pencha sa tête et grimaça.

— Vous avez une petite amie donc vous êtes aimé ! Et moi, je ne ferai jamais un truc comme ça, en tout état de cause ! Je ne brise pas les ménages ! Et puis…

Elle se mit à pouffer comme une idiote.

— On est loin d’être deux personnes qui s’aiment !

Valentin croisa les bras, toujours peu convaincu.

— Donc, vous pensez vraiment qu’on n’est pas fait pour s’entendre ?

Camille se trouva de plus en plus gênée par la tournure de leur discussion.

— Bien sûr que si ! Vous et moi, c’est super, voyons ! Enfin, dans la mesure de l’acceptable ! Je voulais juste mettre un message de paix et de bonheur sur cette omelette, pour que votre bonne humeur reste au beau fixe… C’est raté !

— Ai-je l’air énervé depuis ce matin ?

— Non, j’ai juste anticipé au cas où…

— Au cas où quoi ?

Camille leva les épaules et fuit alors son regard.

— Je ne sais pas…, répondit-elle de façon bien trop légère pour que cela ne soit pas bizarre.

Si Valentin avait bien appris quelque chose avec sa domestique, c’est qu’elle pouvait cacher le loup dans la bergerie avec une maladresse énorme. Elle savait difficilement mentir.

Pourquoi ai-je l’impression que son omelette, c’est pour cacher quelque chose de plus grave ?

Il chercha alors ce qu’elle avait pu faire et tout à coup, se retourna et détailla le salon. Il s’arrêta sur chaque détail du salon, imaginant ce qui pourrait signifier une colère de sa part qu’il fallait éviter. Soudain, il écarquilla les yeux.

La plante !

Il se leva d’un bond et fonça vers cette dernière. Camille se précipita à sa suite, preuve qu’il chauffait.

— Vous n’allez pas l’enlever ? s’alarma vivement Camille.

— C’est mon salon ! Je fais ce que je veux !

Il se pencha pour l’enlever et la déplacer lorsque Camille se posta entre la plante et lui.

— Votre omelette va refroidir ! La plante peut attendre !

Elle tenta de lui sourire, mais Valentin avait à présent la certitude qu’elle était aussi louche que sa plante.

— C’est là que ça coince ! Vous essayez de m’amadouer avec votre fausse gentillesse et vos messages, alors que vous êtes juste une calculatrice ! J’ai horreur des menteurs ! Qu’est-ce que vous tentez de me cacher ?

— Pas…Pas du tout ! répondit Camille, malgré la culpabilité inscrite sur son visage. Il n’y a rien de grave…

— Quelle bêtise avez-vous faite ? gronda alors Valentin.

Tout à coup, Camille eut l’impression que son employeur avait pris plusieurs centimètres et qu’elle était minuscule, telle une fourmi qu’on allait écrabouiller. Sans prévenir, il la déporta sèchement sur le côté et poussa la plante. Le pot cachait une énorme tache au sol.

— C’est quoi ça ? se fâcha Valentin, réalisant qu’elle avait bien tenté de lui mentir. Un message de bonheur et de paix peut-être ?

— Il… Il y avait une tache. J’ai voulu frotter, mais ça ne partait pas. J’ai donc testé plusieurs produits. J’ai quand même réussi à avoir cette foutue tache ! finit-elle par dire en riant jaune.

— Vous avez eu la tâche ? Vous avez carrément décoloré mon sol !

— C’était un accident ! Je ne pensais pas que j’arriverais à ce résultat !

— Encore heureux !

— Je suis désolée ! J’ai fait une méga bourde, donc à part le cacher avec une belle plante et vous faire passer la pilule avec un repas et un mot sympa dessus, je n’ai pas trouvé d’autres idées.

Valentin fronça les sourcils.

— Et me le dire tout simplement sans jouer cette comédie grotesque ne vous a pas traversé l’esprit ?

— Ce n’était pas de la comédie ! La plante donne un peu de lumière et de gaieté. Et mon “LOVE” sur l’omelette aussi ! Et… Et… quand je vois votre colère, je ne sais plus vraiment ce qui est bien à faire ! Quoique je fasse, ça ne semble pas vous aller. À quoi bon continuer si vous vous fâchez tout le temps, si vous êtes toujours en colère contre moi ?

 

Valentin regarda la tache sur le sol, puis replaça la plante dessus. Camille semblait à présent très affectée par cette histoire. Tout comme lui, à des stades différents. Il retourna en silence à sa place, devant son assiette. Le “LOVE” n’avait pas disparu. Il était toujours là, pour lui, uniquement lui. Il soupira. Sa déception était là. Il aurait voulu ce “LOVE” pour une autre raison que celle de masquer une bêtise. C’était idiot de vouloir chercher une autre signification à ce message. Finalement, c’était logique de la part d’une employée à son employeur. Pourtant, il était déçu. Elle avait agi à contre-courant de ce qu’il pensait d’elle depuis le début, de ce qu’il attendait d’elle.

Pourquoi continuer ?

Il savait pourquoi il s’acharnait, pourquoi il l’avait embauché et pourquoi il la gardait malgré ses erreurs et sa tendance à jouer avec ses nerfs. C’était pour la même raison que ce “Love” sur cette omelette. Il savait aussi que même si elle avait voulu jouer avec lui en lui cachant la vérité, ce “LOVE” restait sincère. C’était tout à fait elle. C’était cette façon innocente qu’elle cultivait à être disponible pour les autres qu’il aimait.

— Je ne vous virerai pas ! fit-il sèchement. Mais ne me cachez plus les choses.

Camille regarda son dos voûté sur son assiette.

— Pourquoi ? Pourquoi m’avez-vous embauché ? Pourquoi vous me gardez ? Vous n’aimez rien de ce que je fais.

Après quelques secondes de silence, Valentin accepta de lui répondre, le regard fixé sur son omelette.

— Parce que vous étiez la plus volontaire. Vous êtes investie dans le bien-être des autres. Votre famille en est la preuve. Vous préférez vous sacrifier plutôt que de penser à votre bien-être. Je me suis demandé si vous iriez aussi loin pour votre patron. Je m’interroge sur l’importance de votre altruisme. N'est-ce qu’une impression et vous en jouez, ou est-ce une grosse naïveté de votre part qui vous rend touchante ou bien une réelle volonté de faire le bien autour de vous ?

Je pense que j’ai ma réponse…


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